Les 20 ans du GIP Enfance en danger

Un médecin parmi les 50 écoutants

Publié le 26/05/2010
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LA LIGNE d’écoute 119- Allô Enfance en danger compte 50 écoutants. Tous à mi-temps, ils sont psychologues, juristes, travailleurs sociaux. Et parmi eux, un médecin. Généraliste à Béziers, le Dr Jean-Pierre Lafay, lassé par son exercice professionnel, a lâché son cabinet pour monter en région parisienne avec sa famille grandissante et s’est décidé à décrocher... le téléphone au 119. Comme les autres écoutants, il a suivi une formation assurée par l’École des parents et des éducateurs.

Tous les écoutants sont des professionnels, salariés, tous au même salaire. Ici, on ne reconnaît pas les diplômes et c’est « assez savoureux », sourit le Dr Lafay, qui, en faisant fonction d’interne à La Roche-Guyon, a eu le bonheur de travailler avec le pédopsychiatre Stanislas Tomkiewicz, l’un des premiers à s’intéresser aux maltraitances des enfants dans les années 1970.

Écoutant au 119 depuis sa création en 1989, le Dr Lafay s’y plaît et y voit une « sorte d’observatoire social très riche ». Ses 20 années d’écoute lui ont permis de voir émerger de nouveaux phénomènes sociaux. D’abord, les séparations, très banalisées, et qui ont pourtant des conséquences « de plus en plus dramatiques ». Et ces adultes qui « n’en sont pas et prêts à massacrer leurs gamins pour embêter leur conjoint. Il y a des enfants qui ne s’en remettent jamais. Et je crois qu’on n’a pas encore trouvé la parade ».

Autre cas qui apparaît et va progressant, les femmes seules avec enfant. « Ces femmes souffrent souvent de graves complications psychologiques et il n’est pas rare que les enfants, en manque de repères, surtout lorsqu’il s’agit de garçons, prennent la place du père et se mettent à taper leurs mères. On n’en parle pas ou très peu. »

La société va mal.

Le Dr Lafay a pu constater également le développement des dépendances aux appareils électroniques, dont les jeux, violents, qui excitent les jeunes. « On fait enfin preuve d’un minimum de bon sens concernant les téléphones, en les interdisant par exemple dans les collèges et lycées. Mais c’est récent. »

L’envahissement de la sexualité, partout affichée, représente encore à ses yeux une autre source d’inquiétude. « Les enfants ont un rapport pas très clair à la sexualité et ça s’entend énormément dans nos appels. Les gardes de nuit pour mes collègues femmes sont souvent très pénibles, car elles se font agresser verbalement par des adolescents. Et même par des enfants ! À 3 heures du matin, on reçoit des appels d’enfants ! Ça ne va pas. Je crois que l’on met les enfants sur un piédestal et, en même temps, beaucoup de parents ne se rendent pas disponibles. Certes, on peut imputer cela aux journées de travail interminables qui rendent les parents peu présents. Certains enfants se plaignent de leurs parents qui passent trop de temps devant l’ordinateur. On sent bien qu’en nous appelant, ils cherchent l’adulte. On ressent parfois un grand désarroi, on a l’impression qu’ils ne sont pas aimés. Certains parents semblent ne pas se rendre compte de la responsabilité que représente la parentalité et sortent encore comme s’ils étaient célibataires. C’est le sentiment ambivalent du désir d’un enfant, sans les contraintes. On dirait que certains ont du mal à tenir la distance. Ils ne se rendent pas compte que lorsqu’on devient parent, c’est pour 25 ans au moins ! »

Impuissance.

« Il est d’ailleurs intéressant de constater que beaucoup de parents eux-mêmes appellent quand ils sont en difficulté, parfois en pleine crise. Ils nous disent qu’ils vont cogner leur gamin. On a vraiment la sensation d’être vraiment utile dans ces cas-là, même s’il est troublant d’observer que cela tient à pas grand-chose ».

Vingt ans de 119 n’écornent pas la curiosité du Dr Lafay, qui s’annonce proche de l’heure de la retraite.

« C’est fou tout ce que l’on peut entendre, c’est très surprenant et très varié. » L’écoute en aveugle a ses avantages et ses inconvénients. « La personne au bout du fil peut raccrocher sur un mot qui ne lui aura pas plu. Et c’est alors très frustrant. En revanche concernant les abus sexuels, la ligne a permis, surtout au début, car aujourd’hui il existe de nombreuses structures de relais, d’amener l’ado à accepter l’idée de mener une enquête. Dans ces cas, nous pouvons briser l’anonymat de l’écoutant, ce qui donne à l’appelant la possibilité de rappeler en réclamant la personne qui l’a déjà entendu, afin de ne pas avoir à répéter toute son histoire douloureuse à chaque appel. L’accompagnement se fait alors dans la durée. ». Les médecins, eux, appellent peu le 119, peut-être de peur de rompre le secret médical, suggère-t-il.

« On n’est pas encore assez dans la prévention, notamment dans le cas des séparations difficiles. Dans certains pays scandinaves, les conjoints ont l’obligation de trouver un compromis. On appelle cela le droit collaboratif. S’ils n’y parviennent pas, ils font appel au médiateur et s’ils échouent à nouveau, alors seulement ils vont voir le juge, qui les sanctionne d’ailleurs pour l’absence de compromis. En France, les avocats font traîner les choses et c’est la guerre de tranchées autour du droit de garde et de visite de l’enfant. »

Il reste encore fort à faire. Et puis des zones noires persistent. Comme le cas des mineurs sans papiers. « Beaucoup d’usagers des transports en commun nous appellent, scandalisés par les enfants qui font la manche. Mais, honnêtement, on ne fait rien. »

Autre sujet tabou, les maltraitances institutionnelles. « Comme le conseil général pilote la lutte contre la maltraitance de l’enfance, il est parfois juge et partie et certaines situations sont complètement verrouillées. Les orphelinats par exemple. J’entends parler d’enfants abusés sexuellement dans leurs familles qui le sont à nouveau dans les centres dans lesquels ils sont placés. »

 AUDREY BUSSIÈRE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8777