Faut-il sanctionner les clients des prostitué(e)s ?

Une pénalisation qui inquiète

Publié le 15/04/2011
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Crédit photo : AFP

APRÈS L’EXPÉRIENCE mitigée de la loi de 2003 punissant le racolage passif, le gouvernement entend aujourd’hui renforcer la lutte contre le proxénétisme tout en améliorant la prise en charge des personnes prostituées. Deux axes qui figurent dans le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux femmes dévoilé par Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Un rapport parlementaire publié le même jour propose par ailleurs une approche inédite dans l’Hexagone en matière de lutte contre la prostitution. À l’instar de ce qui se pratique en Suède et une poignée de pays européens, la mission parlementaire d’information sur la prostitution en France recommande de créer une nouvelle loi instaurant un délit qui sanctionne le recours à la prostitution. Autrement dit, il s’agirait selon les députés de pénaliser le client en lui infligeant une amende de 3 000 euros, voire une peine de 6 mois de prison.

« Sans clients, la prostitution n’existerait pas et, en conséquence, la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle non plus », souligne le rapport. Sanctionner directement le client doit en principe permettre de « décourager la demande » et donc de faire reculer « l’offre ». En Suède, ces sanctions du client mises en place depuis 1999 ont permis de faire reculer aujourd’hui de moitié la prostitution de rue. Ce qui est loin de signifier que la pratique de la prostitution ait diminué dans des proportions similaires.

Marginalisation.

En opérant dans des lieux moins visibles (bois, salons de massage, bars…) ou en usant de plus de plus d’Internet pour entrer en contact avec leurs clients, certaines prostituées vivent encore davantage dans l’ombre. C’est ce qui inquiète précisément des associations comme Médecins du monde, qui mènent sur le terrain des actions de soins et de prévention auprès de ces populations. « Avec une loi de pénalisation du client, notre crainte c’est qu’on aille, vers davantage de marginalisation et stigmatisation des personnes prostituées. Ce qui compliquera fortement l’action des acteurs de terrain qui fournissent à ces personnes un certain nombre d’outils de prévention et de réduction des risques. La loi de 2003 sur le racolage passif a déjà été très néfaste en ce domaine », explique le Dr Olivier Bernard, président de l’association humanitaire. Pour Act-Up, cette éventuelle pénalisation des clients de prostitué(e)as pourrait « provoquer des contaminations » au VIH sida. « Les personnes prostituées devront aller exercer dans des endroits reculés, dans des conditions insécurisantes, ce qui les fragiliseront dans les négociations sur l’utilisation du préservatif », considère l’association. Dans un avis rendu public à la veille de la journée mondiale contre le sida, le Conseil national du sida, dressant un état des lieux alarmant, mettait de même en garde contre des politiques pénalisantes et plaidait pour l’amélioration des droits et de l’accès aux soins des prostitué(e)s.

Parallèlement à ce volet répressif, la mission parlementaire soutient un panel de mesures pour un « accompagnement intégral » des personnes prostituées. « J’attends de voir sur le terrain les effets de ces éventuelles mesures au demeurant les bienvenues. Tout dépend comment les choses vont être articulées. C’est a priori plus facile d’établir une sanction du client que d’ériger un nouveau système médico-social de prise en charge des personnes prostituées », indique le Dr Bernard.

DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 8944