« Cette semaine, alors que j’étais en stage, j’ai regardé par la fenêtre et je me suis dit que cela serait plus facile de sauter et d’en finir ». Interrogée par le Quotidien, le Dr Laure Gouinaud explique que cette phrase mise en exergue dans sa thèse a été l’un élément qui l’a confortée dans son choix de sujet de thèse sur le mal-être des médecins.
Internat sac à dos
« La quasi-totalité des travaux sur la santé des internes concerne des jeunes médecins exerçant en métropole. Mais qu’en est-il des internes ultramarins, dont 90 % en moyenne sont d’origine métropolitaine ? », continue le Dr Gouinaud. L’internat Antilles-Guyane présente des caractéristiques spécifiques : il se déroule dans une subdivision qui propose des terrains de stage diversifiés (Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Guyane). Chaque semestre l’interne peut changer d’affectation, ce qui signifie déménager, se réinstaller, racheter notamment une voiture (pour pouvoir assurer les gardes), trouver de nouveaux repères…
Les lieux de stages sont variés : CHU, CHG, praticiens libéraux, centre de santé parfois isolés. Les pathologies sont elles aussi très diversifiées et l’interne, en particulier en début de cursus, y est rarement formé spécifiquement : maladies métaboliques, infectieuses, drépanocytose, envenimations… Enfin, le multiculturalisme règne et le nombre de langues parlées est important.
« C’est un internat sac à dos », continue le Dr Gouinaud. « La majorité des internes sait à quoi s’attendre : les internes en poste peuvent les informer, tout comme le bureau des internes. L’interne doit faire preuve d’une grande mobilité et d’une grande adaptabilité tant au niveau de sa vie professionnelle que de sa vie privée. En outre, il est souvent mis en autonomie rapidement et dans des conditions d’isolement ».
7 % d’internes jamais heureux
Trois promotions d’internes (262 répondants sur les 559 inscrits) majoritairement en spécialité médicale (67 % dont 43,8 % d’internes en médecine générale) ont été sollicitées. Il s’agissait d’internes femmes préférentiellement (ratio 1/1,4), âgés en moyenne de 27,7 ans, originaire de métropole dans 77,5 % des cas et en couple pour 73,5 % d’entre eux (sans enfants pour 92,4 % des personnes interrogées). La plupart des internes vivaient en couples ou en colocation (22,5 % vivant seul).
Environ 27 % des internes se sont dits très nerveux souvent ou tout le temps durant leur stage. De plus environ 7 % ont déclaré ne jamais se sentir calme et détendu ni heureux. Par ailleurs 13,9 % étaient tristes souvent ou tout le temps, et 15,4 % disaient être désespérés souvent ou tout le temps.
Plus préoccupant peut-être : 185 des 259 internes (71,4 %) ont ressenti l’un des trois symptômes du burn-out pendant leur internat et 25,1 % les ont tous ressentis. 12 % des internes rapportent avoir eu des idées suicidaires. Les spécialités qui ont présenté le plus d’idées noires étaient l’anesthésie réanimation avec 25,0 % des internes touchés, puis la chirurgie (18,5 %) et la gynécologie obstétrique (14,3 %).
Ajoutons à ce tableau, le fait qu'environ 20 % des internes ont eu besoin d’un arrêt maladie et dans 20 % des cas, c’était en raison d’un burn-out. Deux internes ont rapporté des arrêts de travail pour harcèlement moral. Chiffre préoccupant, 40 des 262 internes ont déclaré avoir eu au moins un accident en sortie de garde (65 % accidents de la voie publique, 25 % d’accidents domestiques).
Isolement, alcool, drogues
Au total, 51,1 % des internes ont déclaré se sentir isolés géographiquement et 40,1 % socialement. Parmi ces derniers, 14,3 % étaient originaires des Antilles Guyane, preuve peut-être que l’environnement professionnel a tendance à isoler les internes des jeunes adultes du même âge travaillant dans d’autres domaines, en particulier du fait d’horaires à rallonge. En effet, la moyenne globale d’heures travaillées pour tous les internes ayant répondu était de 52,3 heures (+/- 13,3 heures, min=0 max=90 heures).
Le Dr Gouinaud a aussi analysé les recours aux toxiques. 28,2 % des internes déclaraient fumer quotidiennement, 84,0 % disaient consommer de l’alcool de manière régulière et 45,4 % des internes ont déclaré avoir consommé au moins une drogue depuis le début de l’internat. Il s’agissait majoritairement de cannabis (88,9 %) ou de cocaïne (40,4 %). Interrogée sur le recours à la cocaïne, le Dr Gouinaud explique que « cette consommation est probablement en lien avec le prix local faible du fait d’un trafic important dans ces régions et avec l'expatriation ».
Gouinaud L. Etat de santé physique et mentale des internes Antilles-Guyane. Thèse soutenue en avril 2019
Bureau des internes avec des informations en ligne: http://www.bureau-internes-caraibes.org/index.php/presentation-2/