AVC ischémique et thrombectomie : une situation préoccupante

Publié le 24/06/2019

L’accident vasculaire cérébral (AVC) est un enjeu majeur de santé publique. En France on compte chaque année près de 150 000 victimes d’un AVC dont 12 000 en Région Auvergne Rhône Alpes. La majorité des AVC (85 %) sont dits « ischémiques », c’est-à-dire liés à l’occlusion d’une artère cérébrale par un thrombus. La prise en charge de ces AVC ischémiques s’est profondément modifiée depuis la validation en 2015 de la thrombectomie mécanique qui permet de réduire massivement le handicap neurologique lié à l’occlusion d’une grosse artère cérébrale. On estime à 30 000/an en France les victimes d’un accident ischémique cérébral susceptibles de bénéficier de ce traitement, dont environ 3 000 en Auvergne-Rhône-Alpes.

En 2019, l'enquête de la Société française de neuroradiologie (http://www.sfrnet.org/) révèle que seulement 150 neuro-radiologues interventionnels exerçant dans 33 centres (la grande majorité en CHU) sont en mesure de pratiquer la thrombectomie en France, pour un nombre de thrombectomies par centre compris entre 80 à 400/an. Du fait de cette offre de soins très insuffisante, et malgré une augmentation du nombre de thrombectomies depuis 2015, moins de 25 % des patients éligibles peuvent bénéficier aujourd’hui de ce traitement. Ce déficit de l’offre ne manquera pas de s’accroître avec l’extension de la fenêtre thérapeutique de 6 à 24 h pour les patients sélectionnés sur les critères d’imagerie en accord avec les études DAWN (2) et DEFFUSE 3 (3).

Grande disparité d'accès en Auvergne-Rhône Alpes

La région Auvergne Rhône Alpes offre une grande disparité d’accès à la thrombectomie au sein des quatre CHU la proposant. En 2018 seuls 15 % des AVC ischémiques liés à l’occlusion d’une grosse artère peuvent en bénéficier. Le CHU de Lyon concentre 50 % de l’activité de thrombectomie avec 340 actes réalisés en 2018 contre 350 réalisés dans les 3 autres CHU de la région (Grenoble, Clermont-Ferrand, Saint-Etienne). La situation a pris une tournure dramatique cette année avec l’absence de continuité des soins au CHU de Saint-Etienne depuis plus de 6 mois. En conséquence, les patients du département de la Loire sont adressés aux CHU de Clermont-Ferrand ou de Lyon avec un risque accru de perte de chance en raison de l’allongement du délai de prise en charge.

Ce découplage majeur entre la demande et l’offre de soins nous éloigne des préconisations de la Haute autorité de santé (HAS 2018) : élargir le vivier de médecins compétents pour répondre aux besoins de soins à venir en intégrant d’autres radiologues voir d’autres spécialités médicales (neurologues, neurochirurgiens puis, si les besoins sont insuffisamment couverts, cardiologues interventionnels), sous réserve d’une formation spécifique complémentaire (formation initiale par FST et continue). Cette formation élargie à d’autres disciplines est déjà en place dans d’autres pays européens. En France, cette qualification est encadrée par un décret disposant que « le personnel médical doit justifier de la qualification de spécialiste en radiodiagnostic et imagerie médicale, ainsi que d'une formation et d'une expérience dans la pratique d'actes interventionnels par voie endovasculaire ». Malheureusement, les conditions des différents décrets de 2007 à 2014 sont dépassées (voir charte de la thrombectomie) dans la mesure où ce cadre légal a été défini avant la validation en 2015 de la thrombectomie. Une révision majeure des modalités de formation au traitement endovasculaire s’impose pour permettre l’intégration d’autres acteurs dédiés spécifiquement au traitement de l’AVC ischémique par thrombectomie, les autres activités (traitement des anévrysmes et malformations restant à la charge des spécialistes traditionnels.

En l’absence d’une révision rapide de ce cadre d’exercice et d’une prise de conscience que la demande de la population prévaut sur le cloisonnement des pratiques médicales, on prive de nombreux patients d’un traitement qui réduirait leur handicap et on maintient l’inégalité d’accès aux soins dans les régions.

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1) http://www.sfnr.net/neuroradiologie-quotidien/thrombectomie/la-thrombec…
(2) Nogueira RG, Jadhav AP, Haussen DC, Bonafe A, Budzik RF, Bhuva P; DAWN Trial Investigators. Thrombectomy 6 to 24 hours after stroke with a mismatch between deficit and infarct. N Engl J Med. 2018;378:11–21.
(3) Albers GW, Marks MP, Kemp S, Christensen S, Tsai JP, Ortega-Gutierrez S, McTaggart Thrombectomy for Stroke at 6 to 16 Hours with Selection by Perfusion Imaging; DEFUSE 3 Investigators. N Engl J Med. 2018 Feb 22;378(8):708-718
(4) https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2757616/fr/organisation-de-la-p…
(5) http://www.sfnr.net/neuroradiologie-quotidien/thrombectomie/charte-thro…

Pr Norbert Nighoghossian,  Chef de Service Urgences Neurovasculaires,  Hôpital Neurologique, Hospices Civils de Lyon Pr Michel Ovize, Chef de Service Explorations Fonctionnelles Cardiovasculaires, Hôpital Louis Pradel, H

Source : Le Quotidien du médecin: 9760