Pendant longtemps, les biologistes ont maintenu que les cellules souches adultes ne peuvent se reprogrammer. Une fois qu'une cellule souche se différencie en un tissu spécifique (un neurone, par exemple), elle ne peut inverser son horloge biologique pour devenir cellule souche d'un autre organe (os, sang ou tout autre type de cellule adulte), disait-on alors.
Une greffe de moelle provenant de leur frère
Cette idée fondamentaliste a été mise en défaut, il y a quelques années, lorsque des scientifiques ont rapporté que certaines des cellules souches cérébrales peuvent se transformer en cellules sanguines. Et, l'an dernier, deux équipes de chercheurs ont observé, dans leurs laboratoires, que des cellules souches implantées dans un autre organisme étaient capables de fusionner de manière physique avec d'autres cellules, mêlant leurs chromosomes. N'était-on pas en train de faire une erreur en croyant à une transdifférenciation, alors qu'il n'y avait que fusion ?
Voici qu'une équipe du National Institute of Health (NIH) apporte de nouveaux éléments au débat. Simon Tran, Bruce Baum et coll. publient dans le « Lancet » une étude menée chez des femmes qui avaient reçu plusieurs années auparavant (entre quatre et six ans) une greffe de moelle provenant de leur frère. L'analyse de cellules prélevées sur la face interne des joues des cinq patientes incluses dans la publication montre la présence du chromosome Y fraternel. Et les auteurs sont parvenus à établir que le matériel génétique n'a pas été simplement mélangé à celui des cellules de l'hôte, mais qu'il y a réellement eu transdifférenciation des cellules souches du donneur qui, provenant de la moelle osseuse, ont formé des cellules épithéliales muqueuses. Les cellules muqueuses contenant le chromosome Y ont été trouvées chez les cinq femmes à des taux variant entre 0,8 et 12,7 % selon les sujets. Les cellules buccales porteuses du chromosome Y ont les caractères morphologiques spécifiques des cellules épithéliales buccales et elles expriment la cytokératine 13, un marqueur épithélial localisé au niveau de la couche superficielle de la muqueuse buccale interne.
Manipuler les cellules souches
Comme certaines femmes avaient donné naissance à des garçons, une analyse supplémentaire a été réalisée pour écarter l'hypothèse que le matériel génétique masculin provenait de ces grossesses masculines. Les phénomènes de fusion semblent très réduits d'après ces résultats, n'intéressant qu'une faible proportion de cellules (1/100 000 cellules). La différenciation apparaît donc indépendante de ce phénomène.
L'intérêt de la découverte est que, si la transdifférenciation de cellules souches prélevées chez des adultes existe réellement, cela ouvre théoriquement un vaste champ d'exploitation possible. On peut espérer manipuler les cellules souches et les inciter à produire toutes sortes de tissus défaillants à des fins thérapeutiques (de la cicatrisation des plaies au remplacement des dents, disent les auteurs).
« The Lancet », vol. 361, 29 mars 2003, pp. 1084-1088.
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