Paul Raison est l’un des conseillers du ministre de l’Économie, Bruno Juge – alter ego de l’actuel locataire de Bercy, Bruno Le Maire –, et comme souvent chez les personnages houellebecquiens, il ne va pas très bien. Sa relation avec sa femme, Prudence, portrait craché de Carrie-Ann Moss (Trinity dans le film Matrix) haute-fonctionnaire devenue vegan, s’essouffle. Les quinquagénaires font chambre à part et ne se parlent plus. Dommage car nous sommes, dans Anéantir, à la veille de l’élection présidentielle 2027, où le président sortant ne peut plus se représenter après deux mandats : il lui faut donc choisir son successeur. Bruno Juge ? Non, lui vise celle d’après. Ce sera Benjamin Sarfati, surnommé « Big Ben », vedette pas très intellectuelle du PAF muée en politicien, qui sera désigné. Dans le même temps, de mystérieux attentats ont lieu dans le monde, signés d’inscriptions type Lovecraft…
Le monde est-il au bord de l’effondrement, le nihilisme de l’écrivain de Soumission (2015) détruira-t-il les minces espoirs français d’une vie heureuse ? Non. Ces intrigues sont accessoires. Ceux qui s’effondrent, les uns après les autres, ce sont les gens. Le père de Paul, déjà. Victime d’un AVC, il se retrouve à l’hôpital, puis à l’Ehpad – lieu que le protagoniste qualifie de « mouroir ignoble ». Le frère de Paul, aussi, va s’enliser. Enfin, Paul lui-même va s’effondrer, doucement, aux côtés des médecins.
Une érudition médicale
PET scan, euthanasie, âgisme, déserts médicaux, difficulté d’accès aux spécialistes… Houellebecq s’empare des problématiques de santé avec une érudition qui s’explique par ses rencontres avec des médecins – remerciés à la fin de l’ouvrage. Les praticiens occupent une partie importante du roman et sont pris au sérieux par l’écrivain, même s’il ne manque pas d’ironiser sur leurs manières de s’exprimer.
Sur 736 pages, le projet naturaliste, inspiré de ses maîtres du XIXe siècle comme Balzac, est mené avec brio par l’auteur des Particules Élémentaires (1998). Il ne faut pas craindre ces nombreuses pages, lesquelles se boulottent, toujours parsemées de drôleries bien senties sur notre époque. Fresque d’anticipation dans la France des Ouigo et des allers-retours de quatre heures entre le Beaujolais, la Bretagne et Paris, Anéantir n’est pas un tire-larmes ; peu émouvant, plat, parfois longuet : c’est la banalité de ce qui arrive aux personnages qui touche, endolorit, interroge. Au fond, c’est l’amour qui sauve, semble murmurer en filigrane l’auteur, comme le confie l’un des médecins à Paul Raison au moment d’évoquer la fin de vie.
En creux, c’est l’absurdité de notre monde – terme employé maintes fois dans le récit – que fait ressortir Michel Houellebecq. « À quoi bon installer la 5G, se demande Paul, si l’on n’arrivait simplement plus à rentrer en contact, et à accomplir les gestes essentiels, ceux qui permettent à l’espèce humaine de se reproduire, ceux qui permettent aussi, parfois, d’être heureux ? »
Anéantir, Michel Houellebecq, Flammarion, 736 pages, 26 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature