Course à la performance

De la stimulation cognitive aux conduites dopantes

Publié le 17/09/2015
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Crédit photo : PHANIE

Que veulent aujourd’hui les parents, la réussite de leur enfant ou son épanouissement ? Difficile de répondre, tant le premier point devient indissociable du second. Preuve en est la multiplication des ouvrages sur la question (1). Dans lesquels, les professionnels de l’enfance répondent tout en nuance, suggérant tour à tour des méthodes d’éducation alternatives, des thérapies censées accroître la mémoire et l’attention (méditation de pleine conscience, remédiation cognitive, etc.), des jeux qui stimulent le cerveau (vidéos, jeux pour enfants, etc.), des régimes alimentaires, de la psychopédagogie à domicile (2), etc.

Petits dopages entre amis

Toutefois cette anxiété de la performance peut aussi conduire à une multiplication des conduites dopantes. Le Dr Patrick Laure, médecin de santé publique et chercheur au laboratoire de sociologie à l’université de Lorraine, témoigne : « D’après toutes les enquêtes, entre 3 et 5 % des collégiens ont déjà consommé des substances dopantes, au moins une fois durant les 6 mois précédents. » Un chiffre qui ne semble pas extrêmement inquiétant, sauf si on le compare aux anciennes données : « on retrouvait certes le même pourcentage il y a 20 ans, mais c’était sur une seule consommation, toute la vie durant », note le chercheur. Il souligne la « nette progression » de ces comportements « qui continuent à croître, vraisemblablement ». Les conduites dopantes consistent en la consommation de substances destinée à améliorer la performance, qu’elle soit intellectuelle, physique ou sportive. Les vitamines, des suppléments alimentaires (guarana, oméga-3, etc.) la caféine et les boissons énergisantes y côtoient des médicaments souvent détournés de leur utilité (corticoïdes, psychostimulants tels que le modafinil, les beta-mimétiques, etc.) et les substances illicites, telles que le cannabis.

« Faire mieux que son voisin »

Si la consommation de vitamines est souvent induite par les parents, il n’en est pas de même des autres substances, directement acquises par les adolescents. Informés par les médias ou par le bouche à oreille, ces derniers s’approvisionnent de manière autonome (dans les supermarchés, la pharmacie des parents, les pairs, etc.). Ce comportement refléterait plus une hausse de la perception subjective de la pression à la performance, selon le Dr Laure, qu’une réelle augmentation de cette pression. « L’idée est de faire mieux que son voisin », explique le Dr Laure. Être meilleur en endurance, « frais et dispo » après une nuit blanche, ou « au top » pour l’interro de mathématiques…

Le soutien parental apparaît comme un facteur protecteur. « C’est un élément tout à fait fondamental. Des parents qui soutiennent leur gamin en exerçant une pression douce protègent de ces conduites, tandis qu’une pression excessive ou insuffisante favorise ce genre de comportement », observé le Dr Laure. Stimuler ses enfants, oui. Mais pas les pousser, au risque de les confronter à l’échec ou à des comportements compensatoires plus ou moins dommageables. Outre la responsabilisation des parents, des actions préventives sont envisagées par les pouvoirs publics. Parmi celles-ci, Patrick Laure évoque une campagne sur le danger des boissons énergisantes prochainement visible dans les clubs sportifs. Une manière de contrer les méfaits du culte de la performance et celui de la santé de l’homme « augmenté ».

(1) Qu’est-ce qui l’empêche de réussir ? par Jeanne Siaud-Facchin, éditions Odile Jacob (2015)

(2) psyadom.com

Dr Ada Picard

Source : Le Quotidien du Médecin: 9433