Tollé en Seine-et-Marne. La décision de la caisse primaire du département de faire figurer prochainement sur les décomptes de prestations envoyés aux assurés sociaux un message les incitant à lui signaler les dépassements d'honoraires injustifiés pratiqués par les spécialistes suscite l'indignation de la profession et de l'Ordre local.
A partir du 15 avril, et pendant deux mois, chaque assuré trouvera sur ses décomptes de remboursements un message intitulé « pratiques tarifaires des médecins spécialistes » qui rappelle que la consultation du spécialiste en secteur I est fixée à 23 euros depuis le 1er février et qu'il existe un droit conventionnel au dépassement pour exigence particulière du patient de temps ou de lieu (DE). Dans ce cas, précise le message, le médecin doit expliquer le motif du dépassement au patient et lui en indiquer le montant exact. Mais le même texte « invite » ensuite tout patient confronté à des pratiques tarifaires abusives (dépassement « en dehors des exigences précitées ») à les signaler à la CPAM, ainsi qu'à la direction départementale de la Concurrence et de la Répression des fraudes (DDCCRF) ou encore à toute association de défense des consommateurs. Une initiative inédite en France.
Jusqu'à « 96% d'activité en dépassement »
« Nous avons balayé en février les fichiers des 333 spécialistes de secteur I du département, explique Jean-Michel Cano, président du conseil d'administration de la CPAM 77. Un grand nombre de dépassements ont été constatés : chez 65 spécialistes, les dépassements portent sur 25 à 96 % de l'activité, et leur montant atteint fréquemment une dizaine d'euros, avec des consultations facturées jusqu'à 35 ou 40 euros. Cette pratique touche toutes les spécialités, des zones urbaines et rurales, des cabinets de groupe ou individuels. C'est d'abord ce constat qui nous a poussés à agir. » Il précise que les spécialistes concernés ont d'abord été rappelés à l'ordre par courrier, avec une demande d'explications et une injonction au respect des tarifs conventionnels. Un communiqué visant à alerter les assurés a été diffusé dans la presse locale. « Nous ne sommes pas pour la sanction, nous restons dans une démarche pédagogique, affirme Jean-Michel Cano. Mais les courriers d'avertissement aux spécialistes ne suffisent pas, d'autant que le poids du secteur II est très fort dans le département, ce qui crée une situation particulière. » Il tient donc à ce que « la majorité des assurés soit prévenue et vigilante pour que les règles soient respectées ». Selon la caisse, « plusieurs plaintes et demandes d'explication » de patients très surpris par les tarifs exigés par leur spécialiste sont revenues aux guichets. « On ne peut pas tolérer des pratiques qui conduisent à prendre les assurés en otage », résume le patron de la CPAM 77, qui reconnaît que « nous sommes les premiers à avoir été aussi loin dans l'information des assurés ».
Simple appel à la vigilance des patients ou insupportable chasse aux sorcières ? La procédure de la caisse, en tout cas, a mis le feu aux poudres. Le Dr Rémy Dubois, président de la CSMF 77, dénonce une « incitation à la délation ». Il promet une mobilisation locale, et même nationale, contre cette initiative « illégale » qui ne peut que « dénaturer la relation de confiance entre le médecin et le malade », et qui émanerait d'un nouveau président de conseil d'administration soucieux d' « affirmer son territoire ». Rejetant l'argumentation de la caisse, il affirme qu'il n'y a « rien d'excessif » dans l'application du DE par les spécialistes de Seine-et-Marne. Plusieurs syndicats de médecins libéraux (la CSMF et le SML, notamment) appellent depuis des mois les spécialistes à utiliser massivement le DE tout en restant « dans les limites de la légalité », et en respectant le « tact et la mesure ». Des mots d'ordre qui ont sans doute conduit à quelques abus, toutefois difficiles à mesurer.
Un casus belli pour l'Ordre
Egalement révolté par la méthode de la caisse, le Dr André Deseur, président du conseil de l'Ordre de Seine-et-Marne, dénonce ce casus belli et cette « tentative de pression inopportune » qui, dans un contexte national déjà conflictuel, contribuera à « tendre encore plus » les relations entre les spécialistes et l'assurance-maladie. Lui aussi redoute qu'une telle « incitation à la délation » compromette la qualité du colloque singulier.
Du côté de la CPAM 77, on souligne que l'absence de commission paritaire locale avec les spécialistes rend impossible les échanges directs et la conciliation. « Je suis prêt à recevoir les spécialistes, propose Jean-Michel Cano. J'approuve totalement leur exigence de revalorisation ; mais je répète que certains médecins ont largement franchi la ligne jaune. » Une ligne jaune qui, pour beaucoup, a aussi été franchie par la caisse primaire.
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