Mission d'information sur la déradicalisation

Deux sénatrices appellent à changer de braquet

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Publié le 27/02/2017
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Pontourny

Pontourny
Crédit photo : AFP

« C'est un fiasco complet, tout est à repenser, tout est à reconstruire », a commenté Philippe Bas, président de la commission des lois, à la lecture du bilan d'étape de la mission d'information conduite par Esther Benbassa et Catherine Troendlé.

À l'issue de huit mois de travail, de l'audition de 27 personnes (dont des psychiatres, psychanalystes et psychologues), et de 5 déplacements, les sénatrices dénoncent une stratégie de « déradicalisation » montée à la hâte depuis octobre 2014 par des pouvoirs publics confrontés au départ de jeunes français en Syrie et en Irak. Rien que le terme de « déradicalisation » est à proscrire demandent-elles. « L'être humain du jour au lendemain ne change pas. Il vaut mieux parler de désembrigadement, désendoctrinement », explique au « Quotidien » Esther Benbassa.

Les cinq premières unités dédiées en milieu pénitentiaire, créées après les attentats de 2015 en Ile-de-France et dans le Nord ont déjà été abandonnées. Après l'agression de deux surveillants à la maison d'arrêt d'Osny, Jean-Jacques Urvoas décida à l'automne 2016 de leur remplacement par six quartiers d'évaluation de la radicalisation, destinés à accueillir 120 détenus pour 4 mois. « Il faut du personnel très qualifié en prison, et pas tout juste sorti de l'université », note Esther Benbassa.

Un « business de la déradicalisation »

La création en septembre 2016 du centre de Pontourny (Indre-et-Loire) n'a pas convaincu les sénatrices. Au plus fort de son activité, il a accueilli 9 pensionnaires, pour une capacité de 25 places, 27 personnels, et 2,5 millions d'euros. Un suivi psychologique était assuré par le psychanalyste Fethi Benslama ; le sociologue Gérald Bronner cherchait à développer l'esprit critique de personnes emprisonnées dans un monisme moral, une idéologie où le hasard n'a plus court.

« Je ne remets pas en question la compétence des professionnels, ni la nécessité du temps long de la science. Mais en tant que politique, on ne peut attendre des années pour avoir des résultats, surtout si le centre est vide », explique Esther Benbassa. Plusieurs facteurs expliquent l'échec selon les sénatrices : un recrutement sur la base du volontariat, l'effet repoussoir qu'aurait eu le déracinement des résidents à l'égard de leur milieu d'origine, et des phénomènes d'emprise.

Enfin, les rapporteures dénoncent un « business de la déradicalisation », « des associations en manque de subvention qui se sont engouffrées dans ce créneau où une manne financière existait » sans expérience, expertise… Ni évaluation.

De nécessaires psys

« Je ne suis pas là pour préconiser », prévient Esther Benbassa. Néanmoins, la rapporteure estime nécessaire d'évaluer les programmes mis en place et donner un cahier des charges aux associations. Parallèlement à ce travail à l'échelle du collectif, l'accompagnement individualisé, sur-mesure, selon le profil des personnes, doit se développer, avec l'aide des familles, éducateurs, travailleurs sociaux, psys, imams, forces de l'ordre.

Il faut enfin investir sur la prévention, domaine où « nous n'avons de politique efficace », diagnostique la sénatrice.

Dans ce travail de dés-accrochage et de resocialisation, « le rôle des psychiatres est primordial », avance-t-elle. Avant de distinguer : « Il ne s'agit pas de psychiatriser le désendoctrinement. Ce serait trop facile de dire que les radicalisés sont des cas psychiatriques, ou les adeptes d'une secte ; cela risquerait de les cantonner dans une niche. Le travail doit être pluridisciplinaire »

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9559