Entretien

Dr Cyrille Canetti : « Les médecins sont déviés du soin psychiatrique pour consacrer une part de plus en plus grande de leur temps aux auteurs d’infraction à caractère sexuel».

Publié le 19/06/2014
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LE QUOTIDIEN : D’après l’étude à laquelle vous avez participé, les thématiques santé mentale en prison sont parmi les mieux documentées. Partagez-vous ce sentiment ?

DR CYRILLE CANETTI : Je suis très surpris de lire cette présentation. C’est peut-être le cas à l’étranger, mais Il faut savoir qu’en France la dernière étude publiée sur la psychiatrie en milieu carcéral remonte à 2004, avec le rapport Fallissard . Depuis 10 ans nous sommes privés d’études épidémiologiques pour évaluer la situation de la santé mentale des détenus. Dans son rapport d’activité 2013, le contrôleur général des lieux de privation de liberté soulignait que 8 détenus sur 10 présentaient au moins un trouble psychiatrique et que 8 % des détenus souffraient de schizophrénie, avec une proportion identique de psychoses chroniques. Il a appelé les pouvoirs publics à lancer de nouvelles études épidémiologiques sur les problèmes psychiatriques pour que soit apporté une réponse aux nombreux problèmes posés par la prise en charge des personnes malades en détention. Un parlementaire, Serge Coronado, vient d’ailleurs d’interpeller Mme Marisol Touraine sur cette question.

Quelles sont les données qui vous font particulièrement défaut ?

Nous restons privés d’informations sur les pathologies psychiatriques chroniques en prison, alors que ces chiffres seraient très importants pour évaluer la situation des détenus atteints de ces pathologies lourdes, pour lesquelles n’existe aucune perspective d’amélioration en prison, alors que l’incarcération ne revêt plus aucun sens pour ces malades et qu’il conviendrait de poser la question d’une suspension de peine pour raison médicale.

Vous intervenez en prison depuis 18 ans, avez-vous le sentiment que la prise en charge des patients psychiatriques évolue positivement ?

Des initiatives intéressantes ont été prises, comme la création des UHSA, les unités hospitalières spécialement aménagées, qui, à la différence des UMD (unités pour malades difficiles) ne travaillent qu’en lien direct avec les établissements pénitentiaires. Instaurées par la loi de programmation et d’orientation de la justice de septembre 2002, ces unités ont vocation à prendre en charge des personnes incarcérées nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation complète. Les détenus peuvent y être accueillis avec leur consentement ou sur décision du représentant de l’Etat, au vu d’un certificat médical circonstancié. Mais c’est une filière ségrégative, qui valide l’insertion des malades mentaux en prison et menace de faire appel d’air. Dans le même temps, les médecins sont déviés du soin psychiatrique pour consacrer une part de plus en plus grande de leur temps aux auteurs d’infraction à caractère sexuel.

La modernisation des établissements se traduit-elle par des améliorations thérapeutiques ?

Elle se traduit en fait par l’instauration de procédures de plus en plus techniques, qui restreignent le champ des relations et entretiennent un sentiment d’inhumanité. Ajoutez à cela que beaucoup de détenus étrangers ressentent avec angoisse la perspective de leur expulsion en fin de peine. Tout cela concourt à une évolution très péjorative de la situation, alors que la question de la surpopulation pénale n’a toujours pas recueilli de réelle réponse. La mise en œuvre de la réforme Taubira avec la limitation du recours à la contrainte pénale pose des problèmes quant aux moyens disponibles pour assurer préventivement le suivi des patients susceptibles de commettre des violences. À défaut d’un tel suivi, on va continuer en envoyer dans les prisons des patients qui auraient dû être pris médicalement en charge.

Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du Médecin: 9336