Drame à La Mecque : « L’écrasement, c’est notre hantise de secouristes », selon le Pr Frédéric Lapostolle

Publié le 25/09/2015

Crédit photo : AFP

Ce n’est pas la première fois qu’une bousculade meurtrière se produit lors du pèlerinage saint de l’islam. Celle du 25 septembre compte parmi les 3 plus terribles, avec près de 720 morts et 863 blessés, juste derrière celle déjà survenue en 1990 où 1 426 pèlerins musulmans ont été piétinés et asphyxiés. Là aussi le drame s’était déroulé à Mina, près de La Mecque, lors du rituel de la lapidation de Satan consistant à jeter des cailloux vers trois stèles le représentant.

Un choc entre une marée humaine quittant l’une des stèles et une foule venant en sens inverse aurait provoqué le drame. « Ce sont des mouvements de foule comme on n’en voit jamais, explique le Pr Frédéric Lapostolle, du service Urgences-SMUR à l’hôpital Avicenne (Bobigny) et co-auteur de recommandations sur les rassemblements de foule et la gestion médicale événementielle en juillet 2014. Le grand risque, c’est l’écrasement. Deux mécanismes sont en jeu. Le plus fréquent et cela semble être le cas dans le récent drame, l’un tombe et d’autres tombent aussi, le reste marche dessus sans pitié. L’autre, c’est la compression, debout contre les barrières et les murs, comme lors du drame au stade du Heysel, en Belgique, où les barrières autour du stade étaient inamovibles. »

Une foule qui bouge

Pour l’urgentiste du 93 qui médicalise les événements au Stade de France, il y a une particularité à La Mecque qui introduit un risque supplémentaire : « Le pèlerinage doit bouger par essence, alors si l’un tombe, les autres lui marchent dessus. C’était notre hantise lors des manifestations du 11 janvier près de la République, que quelqu’un lance un pétard, et qu’il y ait un mouvement de panique. »

Le Pr Lapostolle est formel, les décès sont essentiellement dus à « l’étouffement ». Les traumatismes ne sont pas au premier plan mais « ne font qu’aggraver les choses ». Les infarctus sont « très rares ». Ce qui lui fait penser que « le nombre de décès ne devrait donc pas augmenter ». Les blessés devraient récupérer en grande majorité « un peu comprimés et suffoqués », même s’il est probable que d’autres présentent des traumatismes thoraciques et crâniens. Pour le porte-parole du ministère de l’Intérieur saoudien, « la grande chaleur et l’état de fatigue des pèlerins ont contribué au nombre important de victimes ». Un pèlerin à Mina rapporte que « les gens étaient déshydratés et s’évanouissaient. Les pèlerins trébuchaient les uns sur les autres ».

Un arbitrage avec le respect de la tradition

Une enquête est en cours pour déterminer les raisons du drame. Alors que le ministre de la Santé l’avait attribué dans une première réaction officielle au manque de discipline des pèlerins, le roi Salmane dit attendre « au plus tôt » les conclusions, ajoutant avoir ordonné une révision des plans d’organisation du pèlerinage. « Il y a dû avoir un arbitrage entre le respect de la tradition et de l’intégralité du parcours et le maximum de sécurité des pèlerins, poursuit le Pr Lapostolle. Les organisateurs ne pouvaient pas ignorer ce risque. Ils ont mis en place des systèmes de comptage, ils savaient qu’il y avait trop de monde à ce moment-là dans un parcours où il doit avoir un cul-de-sac quelque part ».

L’Arabie saoudite a déjà fait ces dernières années d’importants travaux d’infrastructure pour faciliter les mouvements des fidèles. Sur les sept accidents majeurs depuis 1990, six ont eu lieu lors du rituel de la lapidation. La pire tragédie, celle de juillet 1990, avait eu lieu au même endroit, vraisemblablement à la suite d’une panne du système de ventilation. Selon des témoins du 24 septembre dernier, il y aurait aussi eu une panne des deux puissants appareils d’aération du tunnel – long d’un kilomètre et large d’une vingtaine de mètres.

Dr Irène Drogou

Source : lequotidiendumedecin.fr