A l'heure du tout connecté et de la perméabilité entre vies professionnelle et privée, le « droit à la déconnexion » ou droit de ne pas répondre à ses courriels ou messages professionnels hors temps de travail, pourrait faire son entrée dans le code du travail en 2016.
Le sujet préoccupe les entreprises. Poser des limites, oui, imposer une loi inique, non, estiment nombre d'acteurs.
« On n'empêchera personne de se connecter mais il faut des garde-fous. L’hyper-connexion représente un risque réel pour la santé, et l'employeur a l'obligation de protéger la santé de ses employés », dit Jean-Luc Molins, secrétaire national de la CGT des cadres, l'Ugict, favorable à une « loi organique comme base d'accords d'entreprise ».
Dans un récent rapport sur l'impact du numérique sur le travail, le DRH d'Orange, Bruno Mettling, préconise l'instauration de ce « droit à la déconnexion professionnelle qui doit se généraliser par négociation d'entreprise », une piste privilégiée par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, pour sa future réforme du code du travail.
Il l'assortit d'un « devoir de déconnexion dont le respect incombe à tout un chacun mais aussi à l'entreprise », tenue de « former ses collaborateurs au bon usage des outils digitaux ».
« Ce qui risque de dédouaner l'employeur de sa responsabilité », prévient l'Ugict-CGT.
Selon une étude de l'Apec de 2014, 76% des 2,9 millions de cadres, les plus concernés, estiment qu'être connecté à leur entreprise en dehors de leur temps de travail leur facilite l'accès aux informations. 72% considèrent que cela améliore leur réactivité et autant que cela augmente leur charge de travail.
« Droit, devoir, ça ne marche plus », réplique Jean-Emmanuel Ray, professeur en droit social, qui s'est penché sur la question dès 1995. « C'est culturellement et générationnellement dépassé. »
Il explique : « Le droit du travail est resté sur une mesure pondérale de la charge de travail qui ne correspond plus du tout à la réalité pour les travailleurs du savoir. Comment mesurer notre activité neuronale ? »
« C’est moins un problème de droit que d'organisation du travail : comment respecter un savoir-vivre minimum, vertical mais aussi horizontal, entre collègues ? », ajoute-t-il.
Augmentation du risque d'AVC
Pour lui, l'idée de « confort » apporté par les outils numériques reste une « notion très personnelle ». Il concède un risque de « servage moderne » mais « avec des serfs très consentants, à la fois victimes et bourreaux », et suggère « un permis de conduire sur les autoroutes de l'information » : former aux bonnes pratiques des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).
Trois cadres sur quatre utilisent les NTIC en dehors de leur temps de travail et 30 % ne se déconnectent jamais, selon l'Ugict-CGT.
Le syndicat relève que ces heures supplémentaires ne sont ni payées ni récupérées. Il dénonce « une explosion » de cette forme de « travail au noir ». « Des salariés non rémunérés pour leur charge de travail réelle, sont donc exploités, pendant que d'autres, au chômage, ne sont pas embauchés », déplore Jean-Luc Molins.
« Le risque d'AVC augmente de 10% en cas de plus de 40 heures de travail hebdomadaire et de 27% à partir de 49 heures », prévient l'Ugict-CGT, citant une récente étude de la revue britannique The Lancet.
« Avec les messageries, la logique de l'immédiateté s'applique et le choix du salarié de se déconnecter est un choix par défaut car il est tenu au résultat », analyse Jean-Luc Molins.
« Pour les cadres, très investis dans un travail qu'ils ont souvent choisi, la vie peut vite se résumer à la vie professionnelle. Quand elle bascule, tout bascule, et c'est dramatique », explique-t-il, évoquant plusieurs cas de suicides et de burn out.
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