En lançant en fanfare son plan cancer, Jacques Chirac a voulu rassurer l'opinion : il ne s'occupe pas seulement du conflit irakien, qui lui a permis d'obtenir une cote de popularité sans précédent, il se soucie aussi du sort de ses concitoyens.
Le président de la République n'en est pas moins confronté à une crise économique à la fois dure et durable. Son gouvernement a dû, à plusieurs reprises, réviser en baisse ses prévisions de croissance, pulvérisées par le ralentissement économique. Lequel entraîne deux difficultés majeures : l'accroissement des déficits publics et l'ascension du taux de chômage.
Jusqu'au début de la guerre contre l'Irak, qui a détruit les derniers espoirs d'un rebond de l'économie en 2003, le gouvernement Raffarin a tenu bon sur les promesses socio-économiques du candidat Chirac en 2002 : la diminution de l'impôt sur le revenu (IR) serait poursuivie, les déficits seraient contenus dans des normes très proches des critères de Maastricht, il n'était pas question d'augmenter les prélèvements obligatoires, alors qu'il a fait de leur baisse la clé de voûte de ses réformes.
La guerre, et ses effets sur le moral des ménages, a balayé l'optimisme de façade du gouvernement, qui a été contraint de reculer. Il laisse entendre qu'une pause sera sans doute nécessaire dans la réduction de l'IR et Jean-François Mattei, ministre de la Santé, réaffirme que la CSG ne sera pas augmentée, SAUF si les dépenses maladie continuent à déraper au rythme actuel, de l'ordre de 8 % par an.
Le chef de l'Etat était en droit d'espérer que ses succès diplomatiques et le soutien de l'opposition à sa politique antiguerre bâillonneraient la gauche. S'il est vrai que l'opposition est mal à l'aise entre son approbation de la politique étrangère de la France et les conséquences pour les Français d'une économie stagnante, les syndicats de salariés n'entendent pas être asphyxiés par les triomphes de M. Chirac. Certes, la crise économique est vécue comme une fatalité dans la mesure où l'interdépendance des économies ne permet pas à la France d'adopter des mesures de relance qui ne seraient pas coordonnées au moins avec des mesures semblables dans l'Europe des Quinze. Mais comme le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne veut pas renoncer à ses réformes, dont il a établi le calendrier (en juillet pour celle des retraites, avant la fin de l'année pour celle du système de soins), les organisations syndicales ont un os à ronger.
La CGT et FO voient la réforme des retraites avec leurs propres instruments optiques et font des propositions qui finiraient par coûter plus cher ; un front du refus existe depuis toujours au sujet de la réforme de l'Etat, c'est-à-dire de la Fonction publique : on annonce des mesures de simplification des formalités administratives pour différer la bataille, infiniment plus périlleuse, des effectifs des fonctionnaires et de la durée de leur carrière.
En outre, bouleversé sans doute par une crise dont il n'avait prévu ni l'ampleur ni la durée, le gouvernement est manifestement tenté de regarder du côté de ce qu'on appelle le « traitement social » : il crée de nouveau des emplois-jeunes (sous un autre nom) après les avoir supprimés d'un trait de plume au nom de la revitalisation du marché.
Cela semble signifier que le réformisme affiché par le gouvernement est bloqué par l'insuffisance de croissance. De quelque côté qu'il regarde, il n'aperçoit que des risques. Veut-il remplir ses caisses par les privatisations ? La cote des entreprises, y compris les nationales, est si basse, qu'il en retirerait une misère. Veut-il « responsabiliser » les patients pour mettre un terme à la dérive des dépenses maladie ? Ce n'est pas le moment de ponctionner des revenus déjà maigres, surtout dans la masse décidément résistante des exclus ou des chômeurs. Peut-il imposer aux fonctionnaires l'abandon de leurs avantages acquis ? C'est plus que jamais dangereux.
Le résistant Raffarin
De janvier à mars, M. Raffarin a résisté à la crise. Il a néanmoins renoncé à quelques-uns des principes qui structurent le libéralisme économique, lui-même inspirateur de réformes destinées à éradiquer les scléroses du système socio-économique. On peut dire que ses intentions ont toujours été bonnes ; il s'agissait de rajeunir la France, en allégeant les dépenses sociales, en diminuant les charges des entreprises, en redynamisant les structures productives et la compétitivité française.
A la fin de la semaine dernière, Jean-Pierre Raffarin a répété avec vigueur qu'il poursuivrait la baisse des prélèvements. Propos purement incantatoire, car il ne dit pas comment il accomplira cet exploit. En réalité, les effets de la crise sont tellement accablants qu'il se retrouve dans une position de faiblesse, de pilotage à vue et de mélange des genres. Aucune réforme ne semble sérieuse et profonde si elle est accompagnée de décisions empruntées à la gestion précédente. On ajoutera que, dans la psychologie de l'opinion, le traitement social de la crise est perçu comme une sorte d'approbation involontaire à la méthode de M. Jospin, alors que M. Raffarin doit payer pour les dispositions que son prédécesseur a adoptées sans en prévoir le financement, et que, si M. Jospin a bénéficié de cinq ans de croissance, il est parti peu de temps après le début du cycle de crise.
Voilà donc M. Chirac contraint, quoi qu'il en dise, à se poser sérieusement la question de la politique de rigueur. Qu'est-ce que la rigueur ? Elle consiste à aligner les dépenses sur les recettes ; et comme la crise accroît le nombre de chômeurs, de demander à ceux qui travaillent de payer plus pour le « filet social » et pour la santé. Non seulement un tel programme d'austérité serait accueilli par des cris d'orfraie dans l'opposition et dans les syndicats qui, n'ayant ni la responsabilité des comptes ni celle du pouvoir, peuvent à bon compte préconiser le laxisme budgétaire ; mais il irait à contre-courant d'un credo fondé sur la « libération des forces du marché » et, de fait, entraînerait une spirale négative : plus les gens paient en prélèvements obligatoires, moins il leur reste d'argent pour consommer ou pour investir, moins d'entreprises se créent ou se développent, moins de personnes sont recrutées.
M. Chirac a affirmé que, dès la fin de cette guerre qu'il n'a pas voulu, la croissance repartira. Il ne lui reste plus, il ne nous reste plus que cet espoir.
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