En milieu carcéral, un regroupement qui divise

Publié le 23/03/2015
Article réservé aux abonnés
5 quartiers pénitentiaires pour détenus particulièrement dangereux ont été créés en janvier

5 quartiers pénitentiaires pour détenus particulièrement dangereux ont été créés en janvier
Crédit photo : AFP

Désignées

comme les bases arrière du jihad en France, avec les exemples des Merah, Kelkal, Coulibaly et Kouachi, tous radicalisés en détention, les prisons font l’objet d’une surveillance resserrée de la part de l’EMS-3, (état-major de sécurité 3), le service de renseignement de l’administration pénitentiaire.

Pour endiguer le risque de contagion, une première expérimentation avait été lancée à Fresnes en 2014, avec le regroupement d’une vingtaine de détenus repérés pour leur radicalisation. Cette création de quartiers séparés pourrait être pire que le mal, avaient prévenu des sociologues, telle Claire de Galembert (CNRS), le regroupement renforçant les liens entre détenus, au risque de les radicaliser encore plus, de faciliter la préparation d’actions collectives et la formation de groupes d’opposants au sein de l’institution. De fait, le directeur de Fresnes a constaté que ces détenus s’étaient montrés « satisfaits de l’opportunité de se regrouper », ce qui leur permettait d’« asseoir leurs doléances ou réclamations ».

Manuel Valls a malgré tout décidé le 21 janvier de créer cinq quartiers pénitentiaires* pour des détenus identifiés comme particulièrement dangereux, une décision prise sans consulter les médecins qui interviennent en prison.

Du septicisme à la méfiance

Sollicités par « le Quotidien », ceux-ci expriment à tout le moins leur scepticisme – quand ce n’est pas leurs réticences. Responsable de l’UCSA (unité de consultation de soins ambulatoires) de Fresnes, le Dr Catherine Fac, tout en reconnaissant que « le projet a au moins le mérite de soulever un problème et d’essayer d’y apporter un début de réponse », rappelle que « l’administration est seule responsable de l’affectation en cellule, que les problèmes du prosélytisme est réel et qu’aucune solution n’est simple, ni dans la société en général, ni, a fortiori, dans les établissements pénitentiaires ».

Beaucoup de détenus se plaignaient d’être mis sous pression, forcés à dire les cinq prières quotidiennes et à observer d’autres règles coraniques. Ceux-là sont protégés par la mesure de regroupement, note le Dr Magali Bodon-Bruzel, psychiatre, chef de pôle à Fresnes, qui indique que les réflexions se poursuivent actuellement autour de diverses pistes de travail, suivant des exemples à l’étranger, tout en refusant de se prononcer pour sa part, tenue par l’obligation de réserve.

« De toute manière, en tant que médecins, nous n’avons à nous immiscer dans des décisions administratives que si elles sont de nature à entraîner des troubles et des comorbidités psychiques, souligne le Dr Damien Mauillon, président de l’Association des professionnels de santé intervenant en prison (APSIP). Pour le moment, aucune pathologie physique ou psychique sous-jacente n’est signalée. »

Cette réserve est partagée par beaucoup de médecins, comme le Dr Patrick Serre (UCSA du Mans), qui veut « rester prudent sur un sujet complexe, a priori sans répercussion directe sur la santé des personnes ». « Nous sommes là pour intervenir avec des soins somatiques, insiste le Dr Anne Lécu, médecin à Fleury et religieuse dominicaine, pas pour conjecturer sur des notions comme la dangerosité, la vulnérabilité, ou la récidive, qui posent des problèmes dont beaucoup voudraient se défausser sur nous. »

Certains ne cachent pas leur méfiance, à l’instar du Dr Michel David, président de l’association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, qui met en garde contre « une certaine hystérisation sécuritaire », craignant que « le parcage des prisonniers ne soit une première étape avant la création de camps de désendoctrinement ou de rééducation, comme en ont rêvé certains régimes. C’est une vieille illusion d’imaginer que la psychiatrie pourrait trouver la solution à des problèmes aussi complexes que ceux posés par la radicalisation. Elle ne saurait être en première ligne, car les détenus radicalisés sont rarement des délirants ; leurs troubles de comportement doivent être traités dans la discrétion, avec les généralistes, les travailleurs sociaux et les enseignants. » D’aucuns ajoutent : « Attention de ne pas créer des Guantanamo à la française. »

*Fleury-Mérogis, Lille-Annoeullin, Osny et deux quartiers à Fresnes
Christian Delahaye

Source : Le Quotidien du Médecin: 9397