Étude

Épuisement professionnel, idées suicidaires, stress au travail… les professeurs de médecine loin d’être épargnés

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Publié le 21/04/2023
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En France, 40 % des enseignants hospitalo-universitaires titulaires signalent des symptômes d’épuisement professionnel sévères. Les idées suicidaires sont par ailleurs présentes chez près de 15 % d’entre eux. C’est ce que révèle une étude inédite publiée dans le Jama Open Network et menée par un groupe de chercheurs français.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Quelle est l’ampleur de l’épuisement professionnel, du stress au travail et des idées suicidaires chez les enseignants hospitalo-universitaires titulaires (HU) en France ? C’est la question que s’est posée un groupe de chercheurs français dont l’étude vient d’être publiée dans le Jama Open Network.

Un épuisement professionnel grandissant

Pour tenter de répondre à cette question, le groupe de chercheurs a soumis des questionnaires en ligne à 5 332 HU titulaires français, du 25 octobre au 20 décembre 2021. Le groupe de chercheurs a recueilli les réponses de 45 % d’entre eux, avec 2 390 formulaires renvoyés. « Cela nous a permis d’obtenir un échantillon représentatif et proportionnel en termes de disciplines et d’âge des répondants », souligne le Pr Elie Azoulay, chef du service de réanimation de l’hôpital Saint-Louis et auteur principal.

Les résultats de cette étude, inédite en Europe (un seul travail de recherche sur le sujet a été mené à la Mayo Clinic aux États-Unis), sont sans appel : « Le fardeau psychologique pesant sur les HU en France est considérable. Les autorités sanitaires devraient élaborer d’urgence des stratégies de prévention et de prise en charge ».

Pour en arriver à ces conclusions, les auteurs ont constaté dans leur étude que sur les 2 390 enseignants interrogés, 40 % d’entre eux signalaient des symptômes d’épuisement professionnel graves. Ils étaient par ailleurs 12 % à faire part de symptômes de stress professionnel et 14 % à évoquer des idées suicidaires.

Empiétement du travail sur la vie privée

« Dans certaines enquêtes* menées auprès de médecins généralistes, les idées suicidaires sont présentes chez plus de 25 % des répondants. Mais les généralistes sont toujours beaucoup plus affectés que les autres en raison notamment de conditions de travail jugées très difficiles », note le Pr Elie Azoulay.

Toujours est-il que le constat reste « très préoccupant ». Les praticiens hospitaliers ne sont pas épargnés par les risques psychosociaux et présentent des niveaux d’épuisement anormalement élevés en raison notamment d’un « empiétement du travail sur la vie privée » et d’un « manque de soutien de la part de l’institution ». « Certains sont en très grande difficulté. Or nous savons que pour s’occuper des autres, il faut d’abord aller bien », avance le Pr Elie Azoulay, qui note d’ailleurs une « accélération et une aggravation de ce phénomène depuis quelques années ».

Ce phénomène d’épuisement, auquel s’ajoute un manque criant de ressources (signalé par 85 % des répondants) pour les activités de recherche ou de soins, a des répercussions directes sur l’attractivité du métier. Ainsi, comme le montre l’étude, 54 % des professeurs associés (moyenne d’âge 40 ans) envisagent de démissionner. Cette proportion est légèrement moins élevée chez les professeurs titulaires (moyenne d’âge 53 ans) mais reste toutefois significative et s’établit à 49 %. En ce qui concerne l’option d’un changement de carrière, 41 % des professeurs associés l’envisagent, contre 29 % de professeurs titulaires.

Rémunérations et conditions de retraite préoccupantes

Cette désaffection pour la profession n’est pas sans impact pour l’attractivité de la profession. « Les enseignants en difficulté ont beaucoup de mal à encourager les jeunes générations à s’engager dans la carrière hospitalo-universitaire », alerte le Pr Elie Azoulay.

Chaque année, « environ une centaine de professeurs universitaires » décident de quitter le navire pour des postes offrant une meilleure rémunération ou de meilleures conditions de travail. À noter que les conditions de retraite des HU sont « extrêmement préoccupantes pour 99 % des interrogés ». Les HU ne sont pas au régime général car ils perçoivent leur retraite seulement sur le salaire universitaire, qui représente 50 % de leur salaire total, rappelle le praticien.

Pour le Pr Elie Azoulay, un choc de l’attractivité est aujourd’hui nécessaire : « Il faut à la fois s’adapter à la demande des jeunes générations, améliorer la qualité de vie au travail et permettre aux enseignants de percevoir une retraite convenable ». Sans ça, une fuite des cerveaux est inéluctable.

*L. Simoens, C.-L. Charrel, L. Plancke. Santé mentale et conduites suicidaires des médecins généralistes (European Psychiatrie, 14 novembre 2015)


Source : Le Généraliste