Conflit médical dans un service de réa

« Évincé » du CHU de Nice, un anesthésiste lanceur d'alerte témoigne

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Publié le 03/07/2018
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La nouvelle est tombée le 14 février. Ce jour-là, le Dr Pierre-Éric Danin, anesthésiste-réanimateur de 40 ans, contractuel au CHU de Nice, reçoit un courrier de la direction des affaires médicales. Le message est sans équivoque : « l'établissement ne souhaite pas procéder au renouvellement de votre contrat lorsque celui-ci arrivera à échéance ».

Coup de massue pour le médecin. L'annonce est d'autant plus violente que le Dr Danin était persuadé d'être titularisé et même de reprendre la chefferie du service de réanimation médico-chirurgicale, transplantations d'organes et surveillance continue, dans lequel il exerce depuis 2013. Le spécialiste ne comprend pas ce qu'il considère comme une « éviction ». « Tout le monde était satisfait de mon travail, les patients comme les infirmières et mes collègues médecins », assure-t-il au « Quotidien ». Dans un courrier à son intention, la direction justifie sa décision en argumentant de son incapacité à « reconnaître une autorité fonctionnelle malgré les alertes, échanges et rencontres ». 

Ces propos, le jeune anesthésiste les juge « blessants et diffamatoires ». Il peine à les expliquer. « J'ai dû gêner quelques personnes », reconnaît-il toutefois. Et pour cause : depuis son arrivée au CHU, le médecin n'a cessé d'alerter sur les conditions d'exercice. 

Inondations « à répétition », promiscuité, absence de fenêtres… Un service de douze lits « clairement insalubre » pour le jeune médecin. Il insiste : « j'ai même aperçu une souris sortir de la chambre d'un patient qui venait de subir une transplantation hépatique. Il arrive que des patients en postopératoire standard parfaitement conscients assistent à une réanimation juste en face d'eux ». En 2013, la direction évoque bien un déménagement de l'unité mais « malheureusement, cela ne s'est jamais fait », se désole-t-il. Les finances du CHU vont mal. Au printemps dernier, la Cour des comptes évoque un hôpital « en situation d’endettement excessif » depuis trois ans.

Le médecin continue à faire des vagues. Il alerte ses chefs de service et de pôle, la commission qualité et le comité d'hygiène (CHSCT) de son établissement. Rien ne bouge. « Je me suis mis à faire des fiches d'événement indésirable, plus d'une soixantaine au total », poursuit l'anesthésiste. Au risque de se mettre à dos le chef de service, sur le point de partir en retraite, et d'autres membres du corps médical, qui n'apprécient guère les prises d'initiatives d'un jeune médecin sans responsabilité.

Médiation impossible

Le contrat du Dr Danin aurait-il été renouvelé si ce dernier avait cessé d'alerter sur l'état de son service ? « Le Quotidien » a tenté, sans succès, de joindre la direction du CHU de Nice et le président de la commission médicale d'établissement, le Pr Thierry Piche. Également interrogé par « APMNews », ce dernier a assuré que les raisons du départ du Dr Danin n'avaient « rien à voir avec l'état du service. »

Aujourd'hui, le Dr Danin n'a pas retrouvé de poste fixe. Il remplace ici et là. Après son départ du CHU, il a alerté l'agence régionale de santé, l'Ordre des médecins et même le ministère, mais rien n'y fait. Il s'est alors adressé au Pr Philippe Halimi, président de l'association Jean-Louis Mégnien (lutte contre la maltraitance et le harcèlement à l’hôpital), qui s'est empressé de prévenir le médiateur national, afin qu'il se saisisse de l'affaire. Trop tard. Aux dires du Dr Danin, la direction de l'hôpital a refusé la médiation en raison de son départ déjà effectif. « On peut le regretter mais toutes les démarches avaient été faites dans les temps et, au moment où j'ai été alerté, le Dr Danin avait déjà quitté l'hôpital, une médiation était alors impossible », confirme au « Quotidien » Édouard Couty. 

Désormais, il ne reste à l'anesthésiste qu'une seule issue : le recours en justice. Il s'y refuse :  « Une procédure judiciaire demande beaucoup de temps et d'énergie, j'ai plutôt besoin de reconstruire ».

 

 

Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin: 9678