Mardi 1er avril, l'Institut Pasteur jouera son va-tout devant la Cour d'appel de Montpellier (Hérault). En première instance, il a été reconnu civilement responsable, avec l'association France-Hypophyse, du décès de Pascale Fachin le 30 juin 2001, morte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) à l'âge de 30 ans à la suite d'un traitement en 1985 à base d'hormones de croissance contaminées.
Dans son jugement du 9 juillet 2002, le tribunal de grande instance de la métropole de la région Languedoc-Roussillon a estimé que « le producteur est responsable en dehors de toute faute du dommage causé par le défaut de son produit ». L'Institut Pasteur s'est vu condamner à verser, in solidum avec France-Hypophyse, 660 000 euros de dommages-intérêts aux parents et proches de la victime, dont la moitié immédiatement. Le collecteur des « produits défectueux », France-Hypophyse, ayant été liquidé à l'amiable en 1992 et étant donc insolvable (1), il incombe au codébiteur d'assumer sa quote-part de responsabilité, ce que l'Institut Pasteur a refusé en saisissant l'Etat (« le Quotidien » des 11 juillet et 27 novembre 2002).
Préserver les acquis jurisprudentiels
Au lendemain du verdict de première instance, l'Institut Pasteur faisait sobrement valoir que « la contamination des hormones de croissance est de nature biologique. Elle provient donc nécessairement d'hypophyses infectées au moment de la collecte, et non des traitements physicochimiques appliqués à l'institut, et ce, quel que soit le procédé ». Depuis, sa défense s'est élargie. Une jurisprudence européenne récente et la législation française du 4 mars 2002, corrigée le 30 décembre dernier, lui en donnent l'occasion. Trois arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 25 avril 2002, relatifs à la responsabilité civile du fait des produits « défectueux », exigent de la France, de la Grèce et de l'Espagne qu'elles se conforment stricto sensu, comme le reste de l'Europe, à la directive de Bruxelles du 25 juillet 1985, transférée dans le droit français avec la loi du 19 mai 1998 (non rétroactive par principe). D'après la législation européenne, quand un produit corrompu entraîne un dommage, la responsabilité de son producteur est engagée sans qu'il ne soit nécessaire de démontrer la faute de celui-ci ; et c'est à la victime de prouver qu'il y a un lien de causalité avec le fabricant. En droit français, et c'est sur cette base que le jugement du tribunal de grande instance a été prononcé, la directive, fondée sur « la responsabilité objective », constitue une « législation-plancher », ce qui permet de faire jouer la loi du pays, plus protectrice des droits de l'usager. Ce n'est pas à la victime de démontrer qui l'a contaminée : le seul fait qu'elle ait développé la maladie postérieurement à la contamination suffit, a reconnu le tribunal de grande instance de Montpellier. En revanche, il revient au fabricant de montrer que son produit était sain, le doute profitant à la victime (arrêt du Conseil d'Etat du 15 janvier 2001, repris par la Cour de cassation le 9 mai 2001).
La question à laquelle devra répondre la Cour d'appel est donc la suivante : la jurisprudence européenne implique-t-elle une remise en cause des solutions jurisprudentielles françaises ? Me Nicolas Jonquet, avocat de la famille Fachin, plaidera que la directive doit s'appliquer aux seuls produits de consommation courantes et industriels, alors que ceux issus du corps humain, et les médicaments en général, nécessitent « un régime dérogatoire ». « Il en va, explique-t-il au "Quotidien", de la préservation des acquis jurisprudentiels français, datant d'une vingtaine d'années », dont ont bénéficié les victimes de l'hépatite C ou du sang contaminé, et, également, celles du Distilbène.
« Une manuvre du législateur » français
L'intervention du Parlement afin de transférer les obligations de France-Hypophyse vers l'Etat - loi du 30 décembre 2002 (2) - suscite aussi les foudres de Me Jonquet. « Désormais, dit-il, c'est l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (loi du 4 mars 2002), en lieu et place de France-Hypophyse, qui soulage l'Institut Pasteur d'une partie des dommages-intérêts réclamés en première instance et dont il avait la charge en raison de l'insolvabilité du collecteur d'hypophyses. » « En outre, poursuit l'avocat, cette manuvre du législateurcontraire à la séparation des pouvoirs, qui vise à préserver des intérêts particuliers, est illégale car intervenant en cours de procédure (arrêt de la cour de cassation du 24 janvier 2003, et art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ayant trait à un procès équitable). »
Certes, ce qui est présenté par Me Jonquet comme une entorse au bon fonctionnement de la justice et aux droits des victimes, peut, à l'inverse, être utilisé par la défense de l'Institut Pasteur, qui n'a jamais cessé de crier son innocence dans le scandale de l'hormone de croissance contaminée.
Dans cette affaire, pas moins de 11 personnes sont mises examen (empoisonnement et soustraction de preuves) dans le cadre d'une instruction pénale ouverte depuis douze ans, dont le Pr Fernand Dray pour « homicide involontaire ». L'ancien responsable de la fabrication d'hormones à l'Institut Pasteur est en outre accusé de « corruption passive et recel, prise illégale d'intérêt et complicité d'exercice illégal de la pharmacie » (« le Quotidien » du 20 septembre 2002).
C'est la cour d'appel de Montpellier qui tranchera. Son jugement sera vraisemblablement mis en délibéré à deux mois.
(1) L'IGAS a prononcé la liquidation définitive de France-Hypophyse en 1997.
(2) Relative à la prise en compte des maladies nosocomiales et aux assurances en responsabilité civile des professions de santé, cette loi renferme un amendement autorisant le transfert des obligations de France-Hypophyse vers l'Etat.
Une cascade de plaintes
Le drame de l'hormone de croissance extractive contaminée a fait à ce jour 83 victimes et une dizaine d'autres personnes sont malades (MCJ).
Une cinquantaine de plaintes de familles ont été déposées au pénal. C'est la juge parisienne Marie-Odile Bertella-Geffroy qui les instruit. Au civil, outre l'affaire Fachin, Me Jonquet, l'avocat des parents de la jeune femme décédée, s'occupe aussi du cas de Hichame Baouh, d'Alès (Gard), 24 ans, atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Une expertise judiciaire est programmée pour le 3 avril (« le Quotidien » du 14 octobre 2002).
Comme dans le scandale du sang contaminé, les enquêtes ont révélé que des stocks suspects d'hormones de croissance extractive ont continué à être écoulés en 1985 et 1986, malgré les mises en garde, notamment sur les risques infectieux potentiels, en particulier celui d'une possible contamination par la MCJ.
En 1992, l'iinspection générale des Affaires sociales (IGAS) a constaté que les prélèvements des hypophyses nécessaires à la fabrication du « médicament » s'étaient faits au mépris des précautions les plus élémentaires, dans des morgues des services de maladies infectieuses, par exemple.
L'hormone de croissance utilisée aujourd'hui est une hormone biosynthétique. Les conditions de prescription et de délivrance sont très strictes.
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