Des liens étroits mais peu expliqués

La dépression au cours de la sclérose en plaques

Publié le 19/05/2010
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Crédit photo : S Toubon

Données épidémiologiques

La prévalence de la dépression dans la SEP varie selon les séries de 25 à 55 % (Fisk et al., 1998 ; Blanc et al., 2007). L’étude menée par une équipe canadienne en population générale sur une cohorte de près de 100 000 sujets identifie chez les patients atteints de SEP des syndromes dépressifs sévères avec une prévalence de 15,7 %. Elle est plus élevée en comparaison avec la population générale (7,4 %) et avec les patients suivis pour d’autres maladies chroniques invalidantes (9,1 %), ce qui laisserait supposer que la dépression dans la SEP pourrait être une manifestation à part entière de la maladie (Patte al., 2003).

Près de 20 % des patients présentent un syndrome dépressif dès le premier événement démyélinisant (Sadovnick et al., 1996 ; Chwastiak et al., 2002). Il semble selon certains auteurs que la dépression soit plus fréquente chez les patients jeunes, ayant une durée d’évolution de la maladie courte et un score de handicap (EDSS) élevé (Bamer et al., 2008).

Plusieurs études se sont intéressées au risque de suicide chez les patients présentant une SEP. Sur une cohorte canadienne de 3 126 patients, le risque relatif de suicide était 7,5 fois plus élevé chez les patients présentant une SEP que dans la population générale appariée en âge et en sexe (Sadovnik et al., 1991). Une deuxième étude Danoise menée sur 5 525 patients précise que près de deux tiers des patients ayant eu recours au suicide avaient exprimé un syndrome dépressif qui n’avait pas été traité (Stenager et al., 1992). Le recours au suicide était plus fréquent chez les hommes avant 30 ans et chez les femmes après 30 ans. L’évolution rapidement défavorable était également identifiée comme un facteur de risque de suicide.

Données physiopathologiques

Les données épidémiologiques ont suggéré que la dépression n’était pas uniquement un phénomène réactionnel à l’annonce du diagnostic mais pourrait faire partie des manifestations cliniques à part entière de la maladie.

Les études physiopathologiques ne permettent pas à ce jour d’étayer cette hypothèse. Aucun lien robuste n’a été démontré entre la présence ou la sévérité de la dépression, et les caractéristiques de la maladie en IRM. Certains études menées sur des cohortes de petite taille ont suggéré que la charge lésionnelle en séquence T2 au niveau des lobes temporaux (Berg et al., 2000), des lobes frontaux (Feinstein et al., 2004) ou l’atrophie cérébrale (Bakshi et al., 2000) étaient des paramètres corrélés à la présence et la sévérité de la dépression. Ces résultats méritent d’être confirmés à plus grande échelle et doivent être interprétés avec prudence.

Diagnostic

Comment diagnostiquer la dépression dans la SEP ?

Compte tenu de l’enjeu majeur d’un diagnostic précoce, des outils standardisés spécifiques à la maladie ont été développés. À l’heure actuelle, aucun ne s’est imposé comme un outil de référence.

Les échelles proposées sont en général des auto-questionnaires courts, à l’image de celle proposée par une équipe américaine, basée sur 2 items dépistant une humeur dépressive et une anhédonie (Mohr et al., 2007). Une échelle Française a également été publiée (Radat et al., 2008).

Les difficultés diagnostiques sont surtout liées à l’influence de plusieurs facteurs confondants. La fatigue, l’anxiété ou l’altération cognitive peuvent compliquer la démarche diagnostique. Certains auteurs rapportent une dissociation entre les composantes comportementales et subjectives de l’émotion chez les patients atteints de SEP, qui rend la tâche du clinicien plus difficile (Even et al., 2004).

Au total, le dépistage de la dépression à ce jour repose encore sur l’utilisation d’outils non spécifiques tels que l’échelle de Beck et l’échelle de Hamilton.

Traitement de la SEP et dépression

Plusieurs travaux ont rapporté que les traitements par interféron bêta étaient susceptibles d’engendrer la survenue ou l’aggravation d’un syndrome dépressif (Pandya et al., 2002 ; Feinstein et al., 2002 ; Zephir et al., 2003). Il est donc entré dans les habitudes de prescription qu’un syndrome dépressif constituait une contre-indication à ce type de traitement. Ces données ont été remises en question par plusieurs équipes qui ont apporté des résultats contradictoires (Patten et al., 2001 ; Hauser et al., 2004). À ce jour, il semble raisonnable de considérer qu’un antécédent de dépression n’est pas une contre indication formelle à la mise en route d’un traitement par interféron mais doit inciter à la prudence et à discuter l’introduction préalable d’un traitement antidépresseur.

Prise en charge de la dépression

La prise en charge des patients dépressifs atteints de SEP est globalement comparable à la prise en charge classique d’un syndrome dépressif dans la population générale.

Sur le plan médicamenteux, les molécules pour lesquelles les données de la littérature sont les plus solides sont les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (Strohle et al., 2000) et les antidépresseurs tricycliques (Schiffer et al., 1990). Ces derniers doivent être utilisés avec précaution car ils peuvent induire ou aggraver des troubles sphinctériens, fréquents dans l’évolution de la maladie.

La prise en charge non médicamenteuse, par la psychothérapie a également fait la preuve de son efficacité (Mohr et al., 2004).

Service de Neurologie, Hôpital Pasteur, CHU de Nice

Références

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Dr MIKAËL COHEN Dr CHRISTINE LEBRUN-FRENAY

Source : Le Quotidien du Médecin: 8772