Michel Amiel, sénateur et médecin

 « La pédopsychiatrie est sinistrée »

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Publié le 09/02/2017
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LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir lancé cette mission d'information ?

MICHEL AMIEL : À titre personnel, j'ai toujours été sensibilisé à la souffrance psychologique de l'enfant et de l'adolescent. J'ai longtemps exercé la médecine générale, où j'ai vu les difficultés en termes de repérage ou d'orientation. Dans une autre vie, j'ai aussi abordé le sujet en tant que vice-président du conseil général des Bouches-de-Rhône, en charge de la protection de l'enfance.

Nous avons commencé fin décembre les auditions avec l'ambition d'avoir l'approche la plus globale possible, dans un esprit consensuel, apaisé, au-dessus des clivages politiques. Nous rendrons début avril notre copie, sous forme de préconisations réalistes sur le plan médical et budgétaire de nature à améliorer les choses. Nous souhaitons secouer les mentalités, et attirer l'attention des autorités sur ce qu'il y aurait à faire, depuis la formation universitaire, jusqu'à l'exercice, public et libéral.

Quels sont les enseignements que vous tirez des premières auditions ?

La psychiatrie, et en particulier la pédopsychiatrie, est sinistrée en France. Il y a un manque de pédopsychiatres alors que dans une société de plus en plus compliquée, la demande explose. Combien de parents se trouvent démunis face à la souffrance de leur ado ? On ne cesse de parler de périnatalité, de parentalité, on se gargarise de l'importance du repérage précoce ; mais la prise en charge précoce est tout aussi nécessaire. Or il faut attendre des semaines voire des mois pour décrocher un rendez-vous chez un psychiatre.

Il s'agit aussi d'interpeller les doyens pour leur dire : n'oubliez pas la pédopsychiatrie, car il faut des professeurs des universités en pédopsychiatre pour former les médecins.

Nous pointerons aussi les ruptures trop fréquentes dans le parcours de soins, lors du passage de la pédopsychiatrie à la psychiatrie adulte.

Avez-vous déjà identifié des leviers d'amélioration ?

L’un des principaux est le travail en réseau. La prise en charge d’un enfant en souffrance psychique commence souvent au niveau de la famille ou de l’école - en ce sens, la création d'un corps de psychologues scolaires est saluée par tous. L’articulation entre la dimension scolaire ou universitaire et sanitaire est capitale, de même que celle entre le sanitaire, le médicosocial, et le social. La maison des adolescents, dans chaque département, est à ce sens un outil important, comme le sont aussi les espaces santé jeunes.

L'articulation entre l'hôpital et la ville est capitale. Depuis 1960, la tendance en psychiatrie est de replacer le patient au centre de la cité ; le nombre de lits a chuté. Probablement est-on allé trop loin, en particulier, dans les services prenant en charge l'urgence en pédopsychiatrie. De même, la sortie d'hospitalisation pour un jeune est extrêmement délicate. Il faut qu'il puisse se trouver dans les meilleures conditions sociales et éducatives possible.

Une organisation en tuyau d'orgues ne permet pas de prise en charge globale. Or celle-ci est d'autant plus nécessaire qu'on a observé, au cours de nos auditions, qu'on passait de la pédopsychiatrie, à la souffrance psychique plus large. Le repérage d'une souffrance psychique ne débouche pas toujours sur des soins psychiatriques, pour une pathologie psychiatrique avérée. C'est d'ailleurs pour cela que la mission préfère parler de psychiatrie des mineurs, plutôt que de pédopsychiatrie. C'est dire l'importance d'une continuité des soins jusqu'à la vie adulte.

Y a-t-il des sujets minés ?

Oui : l’autisme. Mais il n'est pas question, pour nous, d'entrer dans des polémiques ou des querelles de chapelle, comme on a pu le voir à l'Assemblée, lors de la discussion de la résolution de Fasquelle. Chacun son métier : ce n'est pas au politique de juger de l'opportunité d'une thérapeutique.

D'autres questions divisent, comme la formation des groupements hospitaliers de territoires (GHT). Doivent-ils être généralistes ou spécifiques ? Des GHT psy auraient l'avantage de sanctuariser les budgets de la psychiatrie, qui a toujours été le parent pauvre. Mais cela la placerait dans une tour d'ivoire, isolée de la médecine générale, ce qui n'est plus à l'ordre du jour, ne serait-ce que pour traiter les aspects somatiques.

Le champ de la psychiatrie des mineurs semble très large. Comprend-il la radicalisation ?

C’est évident. Il y a une dimension médicale dans la radicalisation des jeunes. La police et le judiciaire, doivent être fermes à leur égard ; mais il faut être très attentif à leur prise en charge à leur retour, sans oublier que le plus important, reste le dépistage, le repérage, et une prise en charge immédiate.

Propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9554