Drame de Vendée

La piste de la dépression

Publié le 07/07/2010
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° Les éléments de l’enquête

Burn-out, suicide altruiste, dépression ? L’enquête sur le drame familial de Pouzauges, en Vendée, se poursuit. Lors d’une conférence de presse, ce vendredi, le procureur de la République de La Roche-sur-Yon, a indiqué que le Dr Emmanuel Bécaud, 35 ans, était sous antidépresseur au moment du drame. Les analyses toxicologiques montrent en effet la présence de sertraline à dosage thérapeutique, sans qu’il y ait eu « surmédication » ni « consommation excessive », a-t-il précisé.

Les enquêteurs ne veulent pas se prononcer sur l’influence possible du médicament. C’est « l’une des hypothèses », selon le procureur – dans ce cas, a-t-il estimé, « le débat ne serait plus judiciaire mais sociétal » ; d’autres pistes sont suivies, comme celles du suicide altruiste ou du surmenage, la thèse du crime passionnel ayant été exclu.

Le généraliste, décrit comme très dévoué à ses patients, exerçant dans un canton qui compte seulement un médecin pour 1 368 habitants, avait montré des troubles dans les jours précédant le drame. Le 26 mai, il avait pris un premier antidépresseur mais, pris de démangeaisons, en avait changé pour la sertraline. Selon le grand-père maternel, qui a découvert les corps, le médecin « était fatigué, il travaillait trop ». « Son métier l’a tué, il voulait trop bien faire. »

° Le point de vue d’un psychiatre

Lorsqu’on évoque le passage à l’acte au cours de la prise d’un traitement antidépresseur, comme s’en emparent les médias dans le cas du Dr Bécaud, « le principal déterminant est la dépression elle-même, explique le Pr Michel Lejoyeux (CHU Bichat-Claude Bernard et Maison Blanche, Paris). Et le pire serait de ne pas la traiter, puisqu’un nombre important de passages à l’acte est la conséquence d’une dépression non traitée. »

Dans « quelques cas, tout à fait exceptionnels, des effets paradoxaux peuvent certes survenir, mais les données les plus robustes sur ce sujet portent essentiellement sur les sujets jeunes. D’ailleurs, la prescription d’antidépresseurs est déconseillée avant l’âge de 18 ans, sauf dans les troubles obsessionnels compulsifs. » Des états d’excitation de désinhibition peuvent se voir également avec d’autres thérapeutiques que les antidépresseurs.

Il convient d’ajouter qu’il existe une fenêtre d’absence d’activité thérapeutique d’une à quelques semaines au cours de laquelle le patient ne peut être considéré comme sorti de la dépression. Pendant cette période d’installation de l’efficacité du traitement, « peuvent survenir des conduites suicidaires ou des suicides altruistes ». Le suicide altruiste, qui pourrait être évoqué dans le cas du Dr Bécaud, se définit comme « un trouble du comportement du déprimé. Il trouve le monde tellement mauvais qu’il pense devoir en libérer son entourage en l’éliminant. »

Quant à éviter le passage à l’acte, le Pr Lejoyeux se montre péremptoire : « Il n’existe aucun traitement susceptible d’empêcher la levée de l’inhibition ». Dans une dépression authentique, la première mesure consiste à revoir le patient régulièrement, « il ne faut pas attendre plus d’une semaine à partir de l’instauration du traitement ». S’il existe un doute sur un risque suicidaire, l’antidépresseur doit être commencé en milieu hospitalier.

L’association à un anxiolytique telle qu’elle était pratiquée voici quelques années n’est plus de mise. Un changement de pratique qui fait suite à une demande des psychiatres. Il a en effet été suggéré que les anxiolytiques pouvaient, parfois, majorer la désinhibition. La monothérapie antidépressive demeure la règle. « Mais le traitement de la dépression ne se résume pas à un médicament, la psychothérapie en fait partie intégrante. »

* Le Pr Michel Lejoyeux est l’auteur des « Secrets de nos comportements », éditions Plon.

Dr GUY BENZADON ET RENÉE CARTON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8803