Le point de vue de Franck Ramus*

La psychanalyse a-t-elle encore une place dans la psychiatrie du XXIe siècle ?

Publié le 06/05/2019
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Franck Ramus

Franck Ramus
Crédit photo : DR

Il y a un an, la tribune de 124 médecins dénonçant les fausses médecines et en particulier l’homéopathie faisait grand bruit. Malgré les manœuvres d’intimidation de la part de syndicats d’homéopathes auprès de l’ordre des médecins, la bataille intellectuelle semble largement gagnée, et les pouvoirs publics s’acheminent inexorablement vers un déremboursement.

Tout ce bruit autour de l’homéopathie ferait presque oublier que bien d’autres fausses médecines perdurent en France, sont enseignées à l’université et donnent lieu à des pratiques parfois remboursées. Parmi elles, une curiosité bien française : la psychanalyse.

Échecs sur le plan scientifique et médical

Comme l’homéopathie, la psychanalyse a des prétentions scientifiques (expliquer certains mécanismes du psychisme et des maladies) et médicales (capacité à soigner). Comme l’homéopathie, elle a largement fait la preuve de son échec sur les deux plans. Sur le plan scientifique, les hypothèses psychanalytiques sur les causes de l’autisme, de la schizophrénie, des troubles bipolaires, des phobies, des troubles obsessionnels ou même de l’homosexualité, se sont toutes avérées fausses. Plus généralement, les concepts spécifiques de la psychanalyse (complexe d’Œdipe, refoulement, stades psychosexuels oral-anal-génital, interprétation symbolique des mots, des rêves et des comportements) se sont révélés sans aucun pouvoir explicatif, et ont maintenant disparu de la psychologie scientifique moderne.

La notion d’inconscient faisant aujourd’hui consensus est antérieure à Freud, et a été scientifiquement validée par la psychologie cognitive au cours des 40 dernières années (Naccache, L. (2006). Le nouvel inconscient: Freud, le Christophe Colomb des neurosciences. Odile Jacob). Sur le plan médical, la cure psychanalytique ne montre pas d’efficacité supérieure au placebo pour la quasi-totalité des troubles mentaux. Ce constat, rendu public dès 2004 par l’Expertise collective de l’Inserm, n’a été que renforcé depuis par de nombreuses études et méta-analyses additionnelles.

Les conséquences néfastes de la prédominance de la psychanalyse en France sont innombrables : refus de diagnostics ou diagnostics fantaisistes fondés sur une classification unique au monde (Le Mur, ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autismeColloque La psychiatrie et la psychologie fondées sur des preuves), prises en charge inadaptées et/ou retardées, mise en accusation injustifiée des mères (Maternophobie), culpabilisation des victimes d’agression sexuelle (Le Phallus et le néant), expertises judiciaires aberrantes (Le lobbying de la psychanalyse sur les décisions de justice familiales)

Des lignes de défense contestables

Face à ces constats, les défenseurs de la psychanalyse ont plusieurs lignes de défense.

« La psychanalyse n’est pas évaluable »... En vérité, la méthodologie consistant à évaluer l’état des patients avant et après traitement, et à comparer différents groupes bénéficiant de différents traitements est totalement neutre vis-à-vis de la nature du traitement, qu’il s’agisse de psychanalyse ou de toute autre pratique (Les psychothérapies sont-elles évaluables? ).

« Toutes les psychothérapies ont la même efficacité »... Il s’agit d’un mythe. De nombreuses études ayant comparé directement les thérapies cognitives et comportementales à la psychanalyse ont montré la plus grande efficacité des premières (et jamais de la seconde) pour beaucoup de troubles psychiatriques.

« Sans la psychanalyse, les patients auraient les psychotropes pour seul recours »... Ce faux dilemme passe sous silence l’existence de psychothérapies efficaces. C’est justement leur faible représentation dans l’offre de soins en santé mentale en France (à cause de la prédominance de la psychanalyse) qui entraîne la surconsommation de psychotropes.

« L’effet placebo, c’est déjà bien »... Mais au XXIe siècle, tout soin digne de ce nom doit avoir pour ambition de faire mieux que le placebo (sinon à quoi bon). Certaines psychothérapies y parviennent. Comme pour l’homéopathie, revendiquer l’effet placebo revient à avouer que le roi est nu.

« La psychanalyse s’est modernisée »... Elle s’appuierait maintenant sur les neurosciences et trouverait sa place au sein « d’approches intégratives ». En fait, la neuropsychanalyse est de la poudre aux yeux et les approches intégratives ne sont qu’un paravent pour un patchwork incohérent.

« La psychanalyse n’a pas pour but de guérir, la psychanalyse, c’est autre chose »... Conséquence des points précédents, certains psychanalystes se retranchent sur cette position excessivement modeste. Soit, mais il faut alors en tirer toutes les conséquences : dire clairement que la psychanalyse ne soigne pas les troubles mentaux, et l’évacuer d’urgence de tous les services hospitaliers, institutions médico-sociales et cabinets libéraux dans lesquels elle inspire encore les soins, aux frais de l’assurance-maladie.La lutte contre les fausses médecines ne doit pas s’arrêter au cas, certes exemplaire, de l’homéopathie. Le champ de la santé mentale est le plus envahi par les fausses médecines, la psychanalyse n’étant que l’exemple le plus répandu en France. Comme pour l’homéopathie, les Français doivent pouvoir choisir la psychanalyse s’ils le souhaitent, à condition de pouvoir le faire libres et éclairés sur l’efficacité de cette pratique et sur les alternatives disponibles, et à leurs frais.
 


« Réponse courtoise » du Dr Lévy sous le titre « Psychanalyse : pour un débat passionné, mais serein »  (le 16 mai)

Le ton adopté par le tenant des neurosciences dans le débat récent publié dans « le Quotidien » (n° 9447 du 6 mai : « La psychanalyse a-t-elle encore sa place dans la psychiatrie du XXIe siècle ? ») appelle de ma part une réponse courtoise et j’espère plus mesurée que celle de mon partenaire.

D’abord, les inexactitudes. Pour cela, je cite le rapport Inserm qui « invaliderait » selon mon interlocuteur la psychanalyse et les techniques qui en sont dérivées (méthodes psychodynamiques). Faute de place, tous les résultats positifs de ce rapport ne sont pas extraits ici. Je renvoie le lecteur curieux au texte lui-même. Deux exemples parmi de nombreux autres.

Les traitements psychodynamiques (psychanalytiques) longs n’ont débouché que très récemment sur des études en populations cliniques. En revanche, les thérapies psychodynamiques (psychanalytiques) brèves ont donné lieu à davantage d’études d’évaluation. Trois méta-analyses rapportent l’efficacité des psychothérapies brèves (sur des symptômes cibles, des symptômes généraux ou l’adaptation sociale) en comparaison avec un placebo (liste d’attente ou absence de traitement) pour un ensemble de troubles…

Une psychothérapie psychodynamique interpersonnelle (psychothérapie dérivée du modèle conversationnel de Hobson) a été évaluée (étude contrôlée non randomisée) dans un groupe de patients souffrant de troubles de la personnalité borderline en comparaison avec un groupe « traité comme d’habitude » (thérapie de soutien, intervention de crise, thérapie cognitive, pharmacothérapie)… Après une année, 30 % des patients traités par psychothérapie psychodynamique interpersonnelle ne présentaient plus les critères diagnostiques du DSM pour le trouble de la personnalité, alors que les patients du groupe contrôle n’avaient pas évolué. Cette amélioration s’est maintenue au suivi à 1 et 5 ans.

Des méta-études encourageantes

Depuis ce rapport, les méta-études concernant les psychanalyses de longue durée, plus complexes d’évaluation, on s’en doute, sont tout aussi encourageantes [1]. Il est prouvé que les traitements psychodynamiques de longue durée sont un traitement efficace des troubles mentaux complexes. Des recherches plus approfondies devraient porter sur les résultats des troubles mentaux spécifiques et inclure des analyses coût efficacité. Si beaucoup reste à faire dans ce complexe et délicat travail d’évaluation, on est loin de la caricature présentée, à la fois dans le travail de l’Inserm cité par M. Ramus, et dans ceux publiés depuis.

Enfin, dans ce droit de réponse, un mot de la question de la guérison. Bien sûr qu’elle est par surcroît pour la psychanalyse. Mais tout clinicien, ce que n’est pas mon interlocuteur, pratique ainsi, et surtout les généralistes ! Lequel d’entre nous, médecin, resterait le nez sur le symptôme, une migraine par exemple, sans s’intéresser à l’ensemble de l’être du patient ? Il faudra faire ce détour par la complexité du patient, et ses problèmes familiaux anciens ou récents, professionnels, souvent occultés lors des premières consultations (inconscients donc, pour aller vite !!) pour que s’aborde avec efficacité le symptôme, quand ce patient sera prêt, ce dont les cliniciens savent qu’ils ne disposent jamais. Pas de manipulation de l’autre, même sous prétexte de le « guérir ». Le dernier mot appartient au patient, dans le domaine psychique, quand il le décide, consciemment et inconsciemment. Pour la psychanalyse, la guérison appartient au patient. À l’analyste de seulement l’aider à en trouver les moyens. Comme souvent en médecine pour bien des troubles…

Que le débat, même passionné, mais serein reprenne la place à l’exclusion et l’excommunication serait souhaitable pour tout le monde, et singulièrement les institutions psychiatriques, en souffrance aussi, et peut-être surtout, de ces intolérantes « vérités » scientistes plus que scientifiques, qui restent bien seules et dépourvues, sans la psychanalyse, toute imparfaite soit-elle, quand il s’agit d’accompagner dans la réalité clinique les complexes transferts interpersonnels et institutionnels…

[1] Effectiveness of Long-term Psychodynamic Psychotherapy A Meta-analysis Falk Leichsenring, DSc; Sven Rabung, PhD JAMA. 2008;300(13):1551-1565. doi:10.1001/jama.300.13.1551

 

Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS, professeur attaché de psychologie à l’ENS.

Source : Le Quotidien du médecin: 9747