Médecin de campagne pendant plus d’un demi-siècle

La seconde retraite du Dr Singer

Publié le 07/12/2015
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Le Dr Singer a été un des premiers médecins à bénéficier du cumul emploi-retraite

Le Dr Singer a été un des premiers médecins à bénéficier du cumul emploi-retraite
Crédit photo : DR

Petit gilet noir, une barbe à la capitaine Haddock, le Dr Jean-Pierre Singer a le regard qui pétille dès qu’il parle de son métier. À 80 ans, ce médecin généraliste vient de mettre fin à son activité, après 53 années de pratique… « Un vrai crève-cœur », confie ce passionné de médecine contraint d’arrêter pour des raisons médicales.

Sa carrière, il la résume d’une phrase lapidaire : « J’ai commencé au XIXe siècle et j’ai terminé au XXIe siècle » – tant les progrès de la médecine ont été fulgurants au cours des dernières décennies. « Le changement le plus important est sans conteste la disparition des pathologies infectieuses. À mes débuts, je rencontrais beaucoup de tuberculose et de maladies infantiles. En 1958, lors de mes premiers remplacements, le DT Polio était le seul vaccin existant. Il a fallu attendre encore plusieurs années avant de voir arriver le Tétracoq Polio puis le ROR ».

Installé à Blendecques, près de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, ce médecin de famille sillonnait la campagne à bord de sa 2 CV qui tombait régulièrement en panne. « À l’époque, je faisais trois visites pour une consultation ! ». Sans échographie ni scanner, le généraliste devait gérer les problèmes seul, y compris les accouchements. « J’en pratiquais une cinquantaine par an, la plupart du temps à domicile. On faisait une petite anesthésie : j’avais un masque pour l’expulsion… ».

Des temps héroïques où le médecin de famille se sentait terriblement responsable. « À Saint-Omer, il n’y avait pas de cardiologue. Un spécialiste se déplaçait de Calais une fois par semaine, se souvient-il. En cas d’infarctus, je devais gérer moi-même la situation. Aujourd’hui, la médecine générale est extraordinaire mais elle vit dans un grand confort ! ». Le praticien s’est montré très… polyvalent : « Pensez, il m’est même arrivé d’arracher des dents ! ».

Le médecin garde en souvenir « les relations de sympathie et d’amitié qui se tissaient avec les patients. Les gens étaient très reconnaissants. Aujourd’hui, il y a tellement de spécialistes gravitant autour du patient qu’ils n’ont plus cet attachement ».

Parmi les premiers « cumulards »

En 1999, la fatigue se fait sentir, et une opportunité se présente pour la revente de sa clientèle ; Jean-Pierre Singer décide de prendre sa retraite. Le praticien décroche sa plaque et s’investit dans la vie associative : le Rotary, une association de soins à domicile… et même les danses de salon.

Mais l’ennui le rattrape, et l’envie de reprendre du service est la plus forte. En 2002, un confrère lui demande de le remplacer pendant les vacances. Refus catégorique de la CARMF qui s’oppose au cumul emploi/retraite. Qu’à cela ne tienne, le Dr Singer écrit au Pr Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé, pour lui expliquer sa situation. Quelques mois plus tard, la loi de finances de la Sécurité sociale était modifiée et le cumul autorisé…

Commence pour le praticien retraité une deuxième carrière consacrée au remplacement de ses confrères. Cinq à six semaines par an, il reprend sa mallette de généraliste et sa Twingo pour sillonner la campagne. « Je retrouvais le contact avec les patients, le plaisir de la rencontre. Découvrir à chaque fois une personne et prendre le temps de bavarder. Le bonheur. ».

Mais en avril dernier, un problème de santé le stoppe dans son élan : une première fracture de vertèbre suivie d’une autre deux mois plus tard l’oblige à raccrocher définitivement.

La mort dans l’âme, le Dr Singer prend sa retraite, à 80 ans passés.

De notre correspondante Florence Quille

Source : Le Quotidien du Médecin: 9456