Plus de 2 mois après le séisme

La vie suspendue des médecins de Norcia

Par
Publié le 16/01/2017
Article réservé aux abonnés
seisme

seisme
Crédit photo : DR

Depuis quelques jours, la température a brutalement chuté et la première neige est tombée. Juste quelques flocons mais suffisamment pour parsemer les prés de petites plaques blanches qui se transforment immédiatement en feuilles de glace sous l’effet du froid.

« Hier matin, il faisait moins neuf à huit heures et demie et ce n’est que le début de l’hiver ! » note la pharmacienne Alessandra Rossi. Depuis la terrible secousse d’une magnitude 6.1 qui a détruit Norcia le 30 octobre dernier, la cité médiévale est plongée dans le silence, la tristesse et la solitude. À la tombée de la nuit, lorsque les pompiers chargés de sécuriser les monuments historiques s’en vont, la lumière jaune et froide des réverbères accentue l’atmosphère lugubre. « Cela fait peur mais bon, il va falloir nous habituer car la reconstruction va prendre du temps, beaucoup de temps », murmure le Dr Ilario Salvatori. Ce quinquagénaire au visage souriant mais aux yeux marqués par la tristesse de ceux qui ont été frôlés par la mort, travaille à l’hôpital de Norcia depuis de nombreuses années. Alors que d’autres sont partis, lui est resté. Non pas pour jouer les héros dit-il mais parce qu’abandonner les gens qui ont choisi de rester serait impossible. « Et puis, il faut bien qu’il reste quelqu’un sur le pont du navire », ajoute le Dr Salvatori. Pourtant, rester n’est pas facile. La nuit dans les caravanes, l’humidité se glisse entre les couvertures. Les loups sortent du parc national pour égorger les chèvres et roder le long des maisons vides qui dressent leurs ruines vers le ciel. Et le silence entoure Norcia comme une lourde chape de plomb.

Une tente de la protection civile

Deux mois après le terrible séisme, tout a basculé. Les petites choses de la vie, les habitudes, rien n’est plus comme avant. « Nous essayons de conserver le rythme, de faire comme si de rien n’était car cela nous empêche de nous éteindre dans nos têtes mais c’est dur », constate la pharmacienne Alessandra Rossi. Dur, difficile, deux mots qui reviennent à l’infini dans les discours de ceux qui ont choisi de rester comme le Dr Paolo Altea. Ce médecin de famille âgé de soixante-trois ans, exerce depuis deux mois sous une tente de la protection civile. « Mon cabinet situé en plein centre-ville a été détruit comme ceux de mes trois confrères. Nous devrions prochainement recevoir des structures provisoires », confie le Dr Altea. Depuis le tremblement de terre, les quatre médecins se partagent leur clientèle. « Étant donné qu’ils n’ont plus de cabinet et que la situation est ce qu’elle est et qu’une partie des habitants est partie, les médecins n’ont plus leur propre liste de patients », explique le Dr Salvatori.

Cette nouvelle formule semble fonctionner, les patients acceptant d’être reçu par un médecin qui ne connaît pas obligatoirement leurs antécédents médicaux. « C’est vrai, ils acceptent mais c’est parfois difficile à gérer. Les gens sont devenus plus nerveux, plus méchants après le séisme comme si la violence de la nature leur avait insufflé quelque chose », murmure le Dr Altea.

Le temps s'est arrêté

Dans une autre tente transformée en salle d’attente et en zone de triage, plusieurs personnes attendent leur tour. Une femme serre un bébé de quatre mois dans ses bras. Il dort, tranquille. « À cet âge-là, on ne se rend pas compte, il ne se souviendra de rien », assure le Dr Giacomo Cariani. Ce jeune pédiatre d’une trentaine d’années est originaire de Cascia, une petite commune nichée aux pieds des montagnes et située à une vingtaine de kilomètres de Norcia. Là aussi, la terre a tremblé et des maisons sont tombées. « Beaucoup moins qu’ici mais on a eu quand même sacrément peur », se souvient Giacomo Cariani. Là-bas, il paraît que la vie continue plus facilement qu’à Norcia. « Normal, c’est moins cassé que chez nous ! » ironise le propriétaire d’un petit bar. C’est vrai, à Norcia tout est véritablement cassé et le temps s’est arrêté ou plutôt il a reculé. « Nous sommes revenus en arrière d’au moins cinquante ans. L’autre jour, j’ai fait une visite à domicile si on peut parler de domicile. La maison était tellement délabrée que j’ai pensé que la vie comme cela est impossible », confie le Dr Altea. Délabré, le mot également employé par Birger Hay, le vétérinaire d’origine allemande qui a décidé lui aussi de rester. « Je suis arrivé en 1993. J’ai posé mes valises, je me suis marié et j’ai fait deux enfants. La suite ne me fait pas peur. Nous sommes vivants et puis, on peut toujours tout recommencer même lorsque tout est délabré », assure le Dr Hay. Comme pour ses confrères, exercer sa profession est une mission compliquée en l’état actuel mais pas impossible souligne ce quinquagénaire à l’aspect débonnaire. Quelques étables provisoires ont bien été montées mais la plupart des animaux sont dans les près couverts de neige. Alors il faut s’organiser et leur apporter du fourrage pour les réchauffer.

Et la terre continue de trembler

« Il ne faudrait pas que le froid fasse ce que le séisme n’a pas réussi à faire, c'est-à-dire faire crever tous ces quadrupèdes ! » assène le Dr Hayn. Une ambulance est garée devant l’hôpital où le personnel médical et paramédical travaille encore à plein temps. Ici, toute l’organisation a été remise à plat. Une table et deux chaises en guise de standard et de réception. Une pièce a été transformée en chambre d’accueil provisoire. « Nous pouvons garder deux personnes en observation pendant toute une journée et les services ambulatoires spécialisés sont concentrés au premier étage. En revanche, tous les patients âgés auparavant hébergés dans une aile qui servait de maison de santé ont dû être évacués. Et nous ne pouvons plus hospitaliser les patients », explique le Dr Salvatori. L’ambiance est accueillante, il fait chaud et le personnel est souriant. Tout fonctionne et tout doit fonctionner malgré des conditions difficiles et la terre qui continue de trembler le jour comme la nuit, la neige, le froid et la précarité. Et aussi, la solitude et l’absence de ceux qui sont partis. « Quelques heures après le séisme, lorsque j’ai vu les autobus devant la muraille effondrée et les gens qui serraient quelques menus effets dans des sacs en plastique, mon cœur s’est brisé. Ils doivent revenir, ils reviendront et tout recommencera », murmure le Dr Salvatori.

De notre envoyée spéciale Ariel F. Dumont

Source : Le Quotidien du médecin: 9547