La biopsie liquide dans le cancer du poumon non à petites cellules

L’ajout du test sanguin permet de détecter plus de mutations pour un traitement personnalisé.

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Publié le 18/10/2018
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Biopsie liquide

Biopsie liquide
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Le développement des thérapies ciblées a révolutionné la prise en charge de certains cancers, notamment le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) qui représente le cancer du poumon le plus frequent (85 %). En effet, il est souvent possible de détecter dans ce cancer des mutations actionnables ou ciblables. 

« Ces mutations ont une implication directe pour la sélection du traitement. Par exemple, si un patient est porteur d'une mutation du gène KRAS, nous savons qu’il ne répondra pas à certains médicaments. De plus, il existe de nombreuses mutations, telle que EGFR L858R, pour lesquelles nous avons des thérapies ciblées, c’est-à-dire des médicaments pouvant cibler directement la mutation », explique au « Quotidien » le Dr Erica Carpenter, chercheuse à l’université médicale de Philadelphie (États-Unis) et principale signataire de l’étude publiée dans la revue « JAMA Oncology ».

« Le séquençage génétique d’une biopsie tumorale a été la référence absolue pour détecter des mutations dans les tumeurs des patients atteints de cancer du poumon. Cependant, il est souvent difficile voire impossible d’obtenir une biopsie tumorale, notamment lorsque la tumeur primitive ou la métastase est peu accessible. Nos résultats montrent que l’ajout d’une biopsie liquide - un test de séquençage de nouvelle génération (NGS) qui détecte dans la circulation sanguine des ADN tumoraux - peut presque doubler la sensibilité de détection des mutations. En conséquence, les patients qui ne pouvaient pas avoir de biopsie tissulaire invasive, peuvent bénéficier désormais d'une seconde option pour détecter des mutations pour lesquelles des thérapies ciblées sont disponibles », ajoute-t-elle.

Étude dans un contexte clinique réel

L’étude prospective porte sur 323 patients atteints de CBNPC métastatique, enrôlés à l’hôpital universitaire de Philadelphie entre avril 2016 et janvier 2018. Tous ont subi une biopsie liquide (Guardant Health, 73 genes) prescrite systématiquement chez ces patients.

« La plupart des études précédentes ont analysé l’impact de la biopsie liquide dans le cadre d’un essai clinique spécifique ou pour un agent thérapeutique donné, mais notre objectif ici était de quantifier l’effet de l’utilisation de la biopsie liquide en pratique clinique réelle. À notre connaissance, il s’agit de la plus grande étude à ce jour visant à répondre à cette simple question : les biopsies non invasives augmentent-elles le nombre d’options thérapeutiques potentiellement efficaces pour nos patients ? De façon importante, nous avons constaté que les patients dont les traitements ont été sélectionnés sur la base de la biopsie liquide ont généralement obtenu une réponse clinique positive », précise-t-elle.

Globalement, des mutations ciblables (EGFR, ALK, MET, BRCA1, ROS1, RET, ERB2, ou BRAF) ont été détectées chez 113 des 323 patients (35 %). Sur les 323 patients, 94 patients (29 %) ont bénéficié de la pratique d'une biopsie liquide, en raison d’une préférence du patient ou du médecin, et des mutations ciblables ont été détectées chez 31 patients (33 %), rendant ainsi inutile le recours à une biopsie invasive.

Chez les 229 autres patients, qui ont eu à la fois une biopsie liquide et une biopsie NGS tissulaire (n = 128) ou qui n’ont pas pu avoir de biopsie tissulaire (n = 101), une mutation a été détectée seulement par la biopsie tissulaire chez 47 patients (20 %), tandis que l’ajout de la biopsie liquide a permis de détecter une mutation ciblable chez 82 patients (36 %), doublant presque ainsi le nombre de patients identifiés avec une mutation ciblable.

Au final, 67 patients ont reçu une thérapie ciblée qui a été guidée par la biopsie liquide seule (n = 47) ou par les deux biopsies liquide et tissulaire (n = 20). 42 d’entre eux ont été évalués pour leur réponse clinique, et 36 (85 %) ont obtenu une réponse complète (n = 1), une réponse partielle (n = 19), ou une stabilisation du cancer (n = 16).

Valeur ajoutée de la biopsie liquide 

« Ces résultats montrent que la biopsie liquide augmente la détection des mutations que nous pouvons cibler et améliore les résultats cliniques pour les patients. Si l’on considère en outre que la biopsie liquide est moins invasive et peut être parfois la seule option pour les patients, l'impact clinique est très clair », estime le Dr Charu Aggarwal, première co-signataire de l'étude.

« La biopsie tissulaire solide reste essentielle pour un diagnostic précis, mais nous montrons maintenant que la biopsie liquide peut apporter une valeur ajoutée lorsqu'elle est utilisée en appoint et qu’elle peut offrir une alternative viable lorsque les biopsies solides ne sont pas réalisables. Etant donné la rapidité avec laquelle les thérapies ciblées évoluent, c’est un test qui devrait être intégré systématiquement dans le traitement standard », précise le Dr Carpenter. 

« L’utilisation de la biopsie liquide est encore largement limitée aux centres médicaux universitaires mais nous pensons qu’elle peut être utilisée dans les hôpitaux communautaires pour le bénéfice d’un plus grand nombre de patients, souligne-t-elle auprès du « Quotidien ». La biopsie liquide peut être utile dans d’autres cancers, comme le cancer colorectal, le cancer de la prostate, entre autres… »

Le projet de son équipe est l'utilisation de la biopsie liquide pour surveiller les patients ayant des nodules pulmonaires et donc à risque accru de développer un cancer du poumon, ainsi que pour prédire la réponse aux inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. « Cette forme d’immunothérapie est relativement nouvelle, et de nombreux patients ont eu des réponses spectaculaires à ces médicaments, mais il peut être difficile de prédire qui répondra ou ne répondra pas et de surveiller la réponse par l’imagerie. Nous espérons améliorer cela grâce à la biopsie liquide », confie-t-elle.

JAMA Oncology, 11 octobre 2018, Aggarwal et coll., Gyawali et coll.

Dr Véronique Nguyen

Source : Le Quotidien du médecin: 9695