Le cancer du sein cible des grands progrès thérapeutiques

Publié le 03/01/2001
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C'EST surtout le traitement du cancer du sein qui aura bénéficié en 2000 d'avancées non négligeables. Dans des directions diverses, il est vrai. Une diversité qui offre d'autant plus d'espoirs qu'elle débouche sur des possibilités de complémentarités thérapeutiques. D'ailleurs, n'est-il pas logique que la première des lésions néoplasiques de la femme bénéficie en priorité de recherches ?

Homologation européenne d'Herceptin

La grande nouveauté de l'année passée aura été l'homologation européenne d'Herceptin, un anticorps monoclonal humanisé, commercialisé par Roche, désormais à la disposition des spécialistes ayant en charge ces patientes. De quoi s'agit-il ? Le trastuzumab est donc un anticorps monoclonal dirigé contre un oncorécepteur appelé HER2, pour « human epidermal growth factor receptor 2 », protéine produite par un gène potentiellement cancérigène. Chez les femmes surexprimant fortement cette protéine, soit environ 20 % des cas de cancer du sein métastatique, Herceptin a montré un bénéfice clinique sur les taux de réponse au traitement, la prolongation de la durée de vie et le retard à la reprise de la progression de la maladie.
Il faut se souvenir que, voici quelques années, l'oncorécepteur HER2 a été identifié à la surface des cellules tumorales de certains cancers du sein. Par la suite, il est apparu que sa présence était significative d'un mauvais pronostic, alors que les femmes n'exprimant pas HER2 présentaient moins de rechutes, bénéficiaient d'une meilleure survie (6-7 ans contre 3 ans) et de moins de métastases. Enfin, les patientes HER2+ s'avéraient plus souvent résistantes à la chimiothérapie conventionnelle et à l'hormonothérapie.

Origine murine, humanisée à 95 %

La conception d'un traitement neutralisant l'oncorécepteur semble donc relever d'une démarche logique. C'est la mission d'Herceptin, dont l'origine est murine, humanisée à 95 %. Deux essais pivots importants ont confirmé son efficacité et son innocuité.
Dans le premier, 469 femmes atteintes d'un cancer du sein métastasé ont été incluses par l'intermédiaire de plus de 150 centres dans 12 pays. L'essai comparaît une chimiothérapie classique à cette même thérapeutique associée à Herceptin. Au terme de 29 mois, dans le groupe soumis à la double thérapeutique, la survie moyenne a augmenté de 25 % par rapport à la chimiothérapie classique, soit 25,4 mois contre 20,3. En outre, plus de 50 % des femmes ont répondu à l'association contre 32 % dans le groupe « classique ».
Le second essai remarquable a évalué l'efficacité d'Herceptin administré seul, cette fois. 114 femmes étaient HER2 positives et 76 % d'entre elles l'étaient à « +++ ». Ici, le taux de réponse a atteint 26 % (toutes les femmes ayant répondu étaient HER +++). La médiane de survie est passée de 23 à 26 mois, avec pour certaines patientes une stabilisation de la maladie supérieure à 6 mois.

Des méthodes d'immunohistochimie

Ce résultat relevé chez les femmes « +++ » n'est pas étonnant. Il est mieux compris à partir des méthodes de dépistage des femmes HER2+. En effet, ces patientes sont reconnues grâce à des méthodes d'immunohistochimie qui font le diagnostic de surexpression de la protéine et par une technique d'hybridation par fluorescence in situ (FISH) qui permet de mesurer l'amplification du gène HER2. Les résultats sont exprimés en « + ». Et les femmes ayant des scores de 2 ou 3 « + » sont les plus à même de bénéficier de l'apport d'Herceptin puisqu'elles surexpriment la protéine. L'anticorps monoclonal se liant au domaine extracellulaire du récepteur HER2, inhibe la prolifération des cellules.
Dernier point, et non des moindres, la tolérance du traitement est bonne. Après une dose de charge de 4 mg/kg, suivie d'une perfusion hebdomadaire de 2 mg/kg, 40 % des patientes ont connu des symptômes modérés à l'instauration du traitement (fièvre, frissons). Aucun des effets secondaires des chimiothérapies n'a été enregistré.

Arimidex, inhibiteur de l'aromatase non stéroïdien

Autre nouveauté de l'année 2000, en matière de traitement médicamenteux : Arimidex. Cet inhibiteur de l'aromatase non stéroïdien a obtenu une extension d'AMM dans le cancer du sein hormonodépendant, au stade avancé, de la femme ménopausée. C'est la première alternative au traitement de référence dans cette indication, le tamoxifène. L'extension d'AMM a été obtenue sur la base de deux études l'une menée exclusivement en Amérique du Nord, l'autre en Europe, Afrique du Sud, Amérique du Sud et en Australie. Dans les deux circonstances, l'anastrozole a été opposé au tamoxifène sur trois critères communs : le temps sans progression, la réponse objective et la tolérance. En combinant les résultats, il apparaît qu'Arimidex satisfait au critère d'efficacité équivalente à celle du tamoxifène. Au plan de la tolérance, elle a été globalement bonne et les effets secondaires relevés étaient ceux attendus : maladie thromboembolique, troubles digestifs, bouffées vasomotrices, dépression. Cependant, leur fréquence a été moindre qu'avec le tamoxifène (4,5 %, contre 7,6 %).

L'arme des traitements adjuvants

Outre ces traitements spécifiquement dirigés contre la tumeur, une autre arme est celle des traitements adjuvants. Une publication du « British Medical Journal »* montrait que le bénéfice d'une chimiothérapie adjuvante existe quel que soit l'âge de la patiente. Une conclusion qui confirme celles de travaux antérieurs et d'un consensus de 1998. Cette étude danoise a eu une triple conclusion. La première est que le risque de décès est plus élevé avant 40 ans (surtout avant 35) qu'à 45-49 ans ; en l'absence de traitement adjuvant, l'augmentation du risque de décès est inversement proportionnel à l'âge ; enfin, en l'absence d'atteinte ganglionnaire, seules les femmes n'ayant pas reçu de traitement adjuvant ont eu un risque de décès accru.

Une métanalyse sur 40 essais sur l'irradiation

Enfin, moins novatrice, mais très démonstrative une métanalyse portant sur 40 essais cliniques de radiothérapie a été publiée en mai.
De fait, si l'irradiation locale après chirurgie conservatrice des cancers du sein est globalement acceptée par l'ensemble des cancérologues, l'irradiation locorégionale dans les suites d'une mastectomie totale est davantage sujette à controverses. Sans entrer dans le détail de la métaanalyse, il est simplement important de savoir qu'elle a été effectuée de dix à vingt ans après la parution des 40 essais la composant. Et que les investigateurs ont recueilli les données sur les causes de mortalité de 20 000 patientes, scindant les causes liées au cancer de celles non liées au cancer. Ainsi, il apparaît que la moitié des femmes décédées présentaient un cancer avec atteinte ganglionnaire. La radiothérapie portait le plus souvent sur le thorax, le creux axillaire, la région supraclaviculaire et celle des ganglions satellites de la mammaire interne. Quels que soient le type de radiothérapie et les caractéristiques ganglionnaires, les investigateurs ont noté une diminution de deux tiers des récurrences locales. Toutefois, si la mortalité due au cancer du sein a été significativement réduite par l'irradiation, celle en relation avec d'autres causes, en particulier vasculaires a augmenté. Ce qui donne à 20 ans, une survie moyenne de 37,1 % en cas de radiothérapie et de 35,9 % en son absence. Une analyse plus fine a mis en évidence un effet positif essentiellement chez les femmes jeunes. Chez les plus âgées ou en cas de risque de récidive locale faible, l'effet de la thérapeutique adjuvante a été plutôt défavorable, réduisant la survie à vingt ans. Pour important qu'il soit, ce travail ne peut fournir des conclusions définitives, car l'irradiation ne se pratique plus comme avant 1990, notamment les gros vaisseaux sont moins soumis à l'irradiation. Le risque vasculaire est donc à l'heure actuelle différent. De nouvelles études, en cours, devraient apporter prochainement des conclusions plus constructives.

(*) Niels Kroman et coll. « BMJ » du 19 février 2000. Pp 474-478 et 478-479.

L'effet chimiosensibilisateur du vérapamil

Des chercheurs français ont démontré en fin d'année, pour la première fois, qu'un médicament non anticancéreux est capable de procurer, par voie orale, un bénéfice aux patients. Un inhibiteur calcique, le vérapamil, prescrit habituellement en cardio-vasculaire, est susceptible de prolonger la survie des patientes atteintes d'un cancer du sein, dès lors qu'il est associé à une chimiothérapie. Un effet dit « chimiosensibilisateur ».
Des chercheurs de l'ARTAC (association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse) coordonnés par le Pr Dominique Belpomme (hôpital Boucicault, Paris) ont inclus 99 femmes dans un travail prospectif. Deux groupes égaux ont été créés. L'un traité par vindésine et 5-FU. L'autre recevait la même association plus du vérapamil (240 mg deux fois par jour) du 1er au 28e jour de chaque cycle chimiothérapique.
Les patientes sous vérapamil ont bénéficié d'une survie moyenne de 323 jours (contre 209 jours) et d'un taux de réponse thérapeutique de 27 % (contre 11 %). Enfin, non significative a été la survie sans progression, même si le vérapamil l'a prolongée (4,6 mois contre 2,7).
« Pour des malades traitées plus tôt par le vérapamil en association avec la chimiothérapie de rattrapage proposée, au lieu d'un taux de survie à cinq ans de 0 à 5 %, comme il est classique de l'observer, on note un taux de survie supérieur à 25 %, concluait le Pr Belpomme.

Dr Guy BENZADON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6828