Des effets différents en prise aiguë et chronique

Le Captagon expose à un risque de troubles psychotiques

Publié le 18/01/2016
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Crédit photo : AFP

Les récents attentats revendiqués par l’État islamique ne cessent de poser question sur les tenants de comportement subitement extrême. Radicalisation, embrigadement, lavage de cerveau, fanatisme religieux, fragilités psychiques, quête identitaire, cela suffit-il à expliquer le déchaînement de violence froide d’individus jusque-là « sans histoire » ?

La prise de toxiques, notamment de Captagon, une amphétamine qui circule largement au Moyen-Orient, s’est présentée comme une piste possible à explorer. Le Dr Guillaume Fond, psychiatre et addictologue, de l’hôpital Henri Mondor (AP-HP) a publié une revue de la littérature sur les effets comportementaux de la phénytilline dans « Psychopharmacology ». L’analyse fait apparaître un risque méconnu et dangereux de troubles psychotiques lors de prises régulières.

Alors que l’aspect des terroristes de Paris, qualifiés de « zombies » par les témoins du Bataclan, a fait couler beaucoup d’encre sur une prise supposée de Captagon (voir « le Quotidien » du 23 novembre 2015), l’analyse toxicologique s’est finalement révélée négative pour la phénytilline chez l’ensemble des corps des terroristes des attentats de Paris (cf encadré). Toutefois lors de l’attentat perpétré en Tunisie en juin 2015, l’autopsie avait bien mis en évidence l’amphétamine, comme le comportement très anormal du terroriste l’avait laissé supposer. Si le caractère dopant de la phénytilline a tout sur le papier pour transformer de simples combattants en « véritables machines de guerre », indique le Dr Fond, ce n’est pas le seul péril. La prise régulière n’est pas sans conséquences sur la santé mentale.

Mesusage dans les années 1970

Comme le souligne le Dr Guillaume Fond, outre les effets dopants largement décrits en prise ponctuelle, les données de la littérature mettent en avant un risque de troubles psychotiques en prise chronique. « L’effet d’une consommation régulière a pu être étudié dans les années 1970, chez des individus qui en consommaient pour doper leurs performances intellectuelles et physiques, indique-t-il. Il est apparu que près d’un quart des consommateurs réguliers développaient une agressivité grandissante et des troubles psychotiques, surtout des délires paranoïaques et de persécution. La molécule, qui était indiquée dans le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité, a ensuite été prohibée et interdite en 1986 par l’OMS en raison du mésusage et des addictions et des effets secondaires graves avec agressivité et hallucinations. »

La fénytilline semble provoquer des troubles psychotiques déclenchés par la molécule et non révélés par elle, car les symptômes délirants régressent totalement à l’arrêt. « La situation est différente ce qu’on observe pour le cannabis, précise-t-il. Le cannabis semble révéler plus tôt une schizophrénie, qui se serait déclenchée spontanément plus tard. ».

Pour le psychiatre, les effets de la molécule ne sont pas à considérer comme « un épiphénomène ». « On communique peu et mal sur la psychopharmacologie, explique-t-il. L’information et la culture scientifique sur les psychotropes ont souvent laissé à désirer, par exemple lors du crash de la Germanwings, lors de la "mass shooting" à Columbia. Le débat existe et il faudrait avoir une autre vision de phénomènes inattendus, à la fois sans diaboliser ni nier. Les benzodiazépines peuvent désinhiber, les psychotropes de 2e génération peuvent induire des effets paradoxaux ».

Le moteur à l’origine de la barbarie n’est toujours pas percé pour les terroristes de Paris. « Cela fait froid dans le dos qu’ils aient pu commettre de tels actes de sang-froid, estime le Dr Fond. L’absence de substance signifie qu’ils n’étaient pas sous influence lors de l’assaut, cela ne signifie pas qu’ils n’en aient pas consommé auparavant, dans les jours ou les semaines auparavant ». Pour le psychiatre, il y a des enseignements à retenir pour les services de sécurité et les négociateurs. « D’une part, il faut avoir à l’esprit que la communication va se compliquer compte tenu de l’absence d’empathie sous l’emprise de Captagon, explique-t-il. D’autre part, on ne s’adresse pas de la même façon à quelqu’un de délirant paranoïaque. Quand la dangerosité est évidente et/ou que l’individu apparaît sous l’influence d’un produit, le pouvoir des mots est très limité. Il faut neutraliser la personne le plus vite possible ».

Psychopharmacology, publié en ligne le 13 janvier 2016
Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin: 9463