Hausse de 350 % en 12 ans

Le nombre de cancers de la peau explose en Belgique

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Publié le 02/05/2019
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Ce n'est pas un territoire réputé pour son ensoleillement, plus habitué à la pluie qu'au soleil radieux, et pourtant… Les habitants du plat pays, depuis quelques années, paient le prix fort d'une exposition abusive de leur peau aux rayons du soleil.

Les chiffres sont éloquents. Les cancers de la peau n'ont jamais été aussi nombreux en Belgique : 39 000 nouveaux cas en 2016, date du dernier recensement. Et les dermatologues de rappeler que le décompte est sous-estimé. Surtout, ils connaissent une hausse sans commune mesure. Le carcinome basocellulaire +396 % entre 2004 et 2016 (de 7 233 à 28 693 cas). Le mélanome, forme la plus dangereuse du cancer de la peau +200 % (de 1 525 cas à 3 006) Même tendance pour le carcinome spinocellulaire, qui bondit de plus de 275 %.

Tourisme et sous-exposition l'hiver

Si dans le même temps, une meilleure prise en charge des mélanomes -via l'immunothérapie, plus efficace que la chimiothérapie- a permis de stabiliser la mortalité (300 décès annuels pour les mélanomes, 150 pour les autres cancers de la peau), la situation interpelle sérieusement les spécialistes. Comment, en à peine 12 ans, le phénomène a-t-il pu croître autant ?

Thomas Maselis, dermatologue et président de l'antenne belge d'Euromelanoma, un réseau européen de prévention des cancers de la peau, fondé il y a 20 ans par des praticiens belges, identifie quatre causes principales à cette recrudescence.

D'abord, « le développement intense du tourisme, et notamment la démocratisation des voyages lointains, souvent très ensoleillés ». Les Belges y abîment et brûlent des peaux pas prêtes à de telles doses d'UV, favorisant le développement des cancers. Deuxième problème : une exposition trop faible lors des saisons froides. « Les Belges ne s'exposent pas assez en dehors de l'été, explique Thomas Maselis. Idéalement, il faudrait une demi-heure d'exposition quotidienne tout au long de l'année, afin que la peau soit mieux préparée ».

Médicaments et bancs solaires

Autre facteur générateur de cancer, « la popularité, en Belgique, des UV artificiels, dont la recherche a montré qu'ils favorisent le développement des mélanomes ». Une étude publiée en 2015 estimait ainsi que 14 % de la population belge pratiquait les bancs solaires. Enfin, dernière explication de ces chiffres alarmants : « L'usage de certains médicaments, comme les diurétiques thiazidiques ou les immunosuppresseurs », qui, a-t-on découvert, augmentent le risque de cancer de la peau.

Les professionnels continuent pourtant de se heurter à un paradoxe. D'une part, la population est désormais bien informée des risques. Ainsi, 93 % des sondés disent savoir qu'une trop forte exposition au soleil est dangereuse pour la santé. Et d'autre part, ces mêmes sondés affirment négliger la prévention… : seuls 6 % disent se protéger tout au long de l'année.

Déni et procrastination

Un déni que les médecins constatent non seulement dans la prévention, mais aussi une fois l'apparition d'un cancer de la peau. Les premiers symptômes puis le suivi médical sont négligés. Selon une étude internationale menée auprès de 1 300 dermatologues, après l'apparition de symptômes, la moitié des patients attendent entre 3 et 6 mois avant de consulter, 39 % attendent 7 à 12 mois, et 14 % laissent filer un an ou plus… Une procrastination qui augmente la gravité des tumeurs.

« Nous pourrions sauver davantage de patients si le diagnostic était posé plus précocement », souligne le docteur Maselis. « Mais trop de gens continuent de se dire, en voyant une tache suspecte “c'est apparu tout seul, ça partira tout seul” ». Les hommes âgés sont les plus prompts à relativiser ces premiers signes, constituant de fait un groupe à risque. Un flagrant déni qui cache, selon le médecin, des peurs : « Peur d'avoir mal lors de la biopsie, et peur, bien sûr, du résultat de l'analyse ».

Pour tenter de convaincre les Belges de prendre enfin au sérieux ce risque majeur, les dermatos d'Euromelanoma monteront une nouvelle fois au front mi-mai, lors de leur campagne annuelle de sensibilisation. Ils y rappelleront, une fois de plus, les fondamentaux : éviter le soleil aux heures chaudes ; porter des vêtements couvrants et un chapeau ; des lunettes de soleil (certains mélanomes naissent dans l'œil) et appliquer de la crème solaire indice 50 toutes les 2 à 4 heures.

Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin: 9746