Baisse unilatérale des tarifs médicaux

Les anesthésistes à l’amende, la maîtrise comptable resurgit

Publié le 02/06/2010
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FAUT-IL y voir un « retour en force » de la maîtrise comptable comme le redoutent certains syndicats ?

En tout cas, la décision du gouvernement de baisser unilatéralement le prix de l’anesthésie de la chirurgie de la cataracte, dans le cadre du nouveau plan d’économies de 600 millions d’euros (1), a ressuscité de vieux fantômes qui, depuis quinze ans, ont pris la forme de divers mécanismes de « bouclage » financier appliqués sans concertation à la médecine libérale.

L’originalité, si l’on peut dire, est que cette fois les mesures correctrices du gouvernement interviennent « à froid » pour couvrir la « prévision de dépassement » de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) pour 2010. Lors de la conférence sur le déficit public, Nicolas Sarkozy avait prévenu que tout dérapage de l’ONDAM serait désormais interdit, quitte à prendre des mesures de redressement en cours d’exercice (gels de provisions non engagées, suspension de crédits…). La baisse de tarifs d’anesthésie (pour un rendement limité de 10 millions d"euros), s’inscrit dans cette stratégie d’ajustement, au fil de l’eau, des dépenses de médecine ville. Le comité de suivi des dépenses maladie n’a certes pas déclenché la procédure d’alerte mais le dogme élyséen de respect strict de l’ONDAM (3 %) impose néanmoins de corriger le tir. Cette fois, ce sont les anesthésistes, régulièrement classés en haut de l’échelle des revenus médicaux, qui se réveillent avec la gueule de bois. Et demain ?

Dans un passé récent, les radiologues (baisses des forfaits techniques scanners et IRM) et les biologistes avaient eux aussi subi des décotes tarifaires. En 2007, suite au déclenchement de l’alerte, le gouvernement avait arrêté en urgence, à l’été, un plan qui ciblait ces deux disciplines à hauteur de 200 millions d’euros. Les mesures avaient été suggérées à Bercy par la CNAM. Motif : les gains de productivité dans ces spécialités « dynamiques » autorisaient un tel effort. Un an plus tôt, en juillet 2006, les médecins biologistes avaient déjà expérimenté à leurs dépens une régulation financière de leurs dépenses via des mesures de nomenclature. En 2006 toujours, autre exemple de gestion au coup par coup : Xavier Bertrand avait décidé des baisses de tarifs des cliniques pendant trois mois…

Des reversements aux stabilisateurs.

Plus globalement, les gouvernements sont régulièrement tentés de donner un tour de vis supplémentaire en ville. Les médecins se souviennent avec émotion des dépassements d’honoraires du plan Juppé (1996) puis des lettres clés flottantes mises au goût du jour par Martine Aubry (1999). En 2007, l’addition se corse avec l’instauration des stabilisateurs budgétaires automatiques qui permettent de différer de six mois l’entrée en vigueur des accords de revalorisation mais aussi de suspendre les augmentations en cas d’alerte sur les dépenses. En 2008 encore, un projet (finalement avorté) intitulé « refonte des comités de hiérarchisation des actes et prestations et stabilisateurs automatiques » confie à la direction de l’assurance-maladie la responsabilité unilatérale de diminuer instantanément les tarifs des actes en cas d’alerte.

Aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis pour appliquer si besoin une maîtrise dite « comptable » : un impératif de réduction de la dette publique érigé en priorité nationale ; un comité d’alerte aux pouvoirs étendus ; des objectifs de dépenses serrés pour le secteur libéral (sous la barre des 3 % par an) ; des outils à la disposition du gouvernement et des caisses pour « ajuster » rapidement les tarifs et la nomenclature.

Le contexte de carence conventionnelle est propice aux mauvaises surprises. Comme le soutient le Dr Jean-François Rey, président de l’UMESPE (branche spécialiste de la CSMF), « lorsqu’il n’y a plus de dialogue ni avec le gouvernement ni avec la CNAM, ce sont les comptables qui régulent ». Ce même responsable y voit les symptômes d’une médecine à l’anglaise. « Avec cette méthode de gestion aveugle, on refusera bientôt des médicaments anticancéreux trop coûteux, les dialyses après un certain âge... On court à la catastrophe ».

(1) Outre les mesures visant les anesthésistes, le plan prévoit un gel des provisions non engagées sur la liste en sus à l’hôpital, un gel des crédits du fonds pour la modernisation des établissements hospitaliers, des baisses des prix des médicaments, un changement de calcul des IJ et une suspension temporaire de crédits concernant les établissements médico-sociaux.

CYRILLE DUPUIS

Source : Le Quotidien du Médecin: 8782