De notre correspondante
à New York
Le Pr Markus Grompe (Oregon Health and Science University, Portland), qui a dirigé l'une des deux équipes, explique au « Quotidien » ces nouveaux développements. « Notre laboratoire a montré il y a deux ans qu'il est possible de guérir une maladie hépatique par transplantation de moelle osseuse. Nous avons utilisé un modèle murin d'une maladie génétique humaine, la tyrosinémie hépato-rénale, et nous avons transplanté chez cette souris (par injection I. V.) des cellules souches hématopoïétiques de souris normale. Les cellules de la moelle de ce donneur normal sont devenues des cellules hépatiques (hépatocytes) en bonne santé et ont corrigé complètement la maladie hépatique », raconte le Pr Grompe.
Ces travaux (Lagasse, Grompe, et coll., « Nature Medicine », 2000) suggéraient donc que les cellules souches hématopoïétiques pouvaient posséder, contrairement aux idées reçues, une plasticité de développement (conservant la capacité de se transdifférencier : multipotentialité) et pouvaient produire à la fois des cellules sanguines et des hépatocytes.
Une plasticité apparente
Dans d'autres observations, les cellules souches hématopoïétiques transplantées ont pu devenir des myocytes cardiaques, squelettiques, des neurones et des cellules pulmonaires.
Toutefois, le mécanisme sous-jacent de ce phénomène reste incertain. Cette plasticité apparente pourrait s'expliquer autrement que par une transdifférenciation, par exemple par une fusion cellulaire entre les cellules du donneur et celles du receveur.
L'équipe du Pr Grompe a étudié cette question. « Dans la présente étude, nous décrivons le mécanisme par lequel les cellules souches hématopoïétiques deviennent des hépatocytes. Contrairement à notre attente, le processus met en jeu une fusion cellulaire plutôt qu'une différenciation. »
Un hépatocyte génétiquement corrigé
« Normalement, le processus par lequel les cellules souches donnent naissance à divers tissus est la différenciation. La cellule souche se divise et donne naissance à une cellule fille qui reste une cellule souche, tandis que l'autre se différencie pour produire un type cellulaire spécifique, par exemple un globule rouge. On pensait tous que c'est ce qui se passait lorsque les cellules souches transplantées devenaient des hépatocytes. Toutefois, la vérité est parfois plus étrange que la fiction, et ce qui se passe en réalité, c'est que les cellules génétiquement dérivées de la moelle osseuse normale fusionnent avec les hépatocytes malades. Le produit de fusion résultant (aussi appelé hybride) est une cellule hépatique (hépatocyte) génétiquement corrigée, qui peut grandir, proliférer et corriger la maladie hépatique. »
Ce processus de fusion, notent aussi les chercheurs, survient de façon stochastique et non comme une réponse de réparation tissulaire.
L'autre équipe, dirigée par le Dr David Russell (University of Washington, Seattle), démontre, elle aussi, la présence d'une fusion entre les cellules du donneur et celles de l'hôte, après transplantation de cellules de moelle chez des souris affectées de tyrosinémie. Leurs hépatocytes expriment à la fois des gènes du donneur et des gènes de l'hôte. Après fusion, les génomes donneurs hématopoïétiques sont reprogrammés, activant et inhibant des gènes pour ressembler aux profils d'expression des hépatocytes. Ces cellules fusionnées forment des hépatocytes d'apparence normale qui prolifèrent et corrigent finalement le trouble métabolique sous-jacent.
Voies d'avenir
En conclusion, on peut se demander si les cellules souches hématopoïétiques ont vraiment un potentiel de différenciation autre que vers les lignées sanguines, celui qui leur est attribué traditionnellement.
« Notre prochaine étape, confie au "Quotidien" le Pr Grompe, est d'essayer d'induire artificiellement la fusion cellulaire dans le foie plutôt que de se reposer sur la fusion spontanée. Nous espérons que cela pourrait améliorer significativement le bénéfice thérapeutique. »
Il souligne deux implications de ces travaux : « Premièrement, les cellules souches hématopoïétiques (CSH) ne possèdent pas la plasticité de développement pour se différencier en cellules du foie. Les CSH sont supposées appartenir à la lignée mésodermique des trois feuillets embryonnaires, tandis que les hépatocytes sont dérivés de l'endoderme. Les CSH respectent bien, finalement, les frontières des feuillets embryonnaires. Deuxièmement, les cellules souches sanguines peuvent encore être utilisées pour le traitement de la maladie hépatique, en se fusionnant avec les hépatocytes. Dans ce scénario, les cellules sanguines sont utilisées comme un véhicule de livraison d'une thérapie génique introduisant des gènes désirés dans les cellules malades. La future recherche devrait se concentrer sur la façon dont on peut inciter les cellules sanguines à se fusionner plus efficacement qu'elles ne le font naturellement. »
« Nature », 30 mars 2003, DOI : 10.1038/nature01531 and.1038/nature01539.
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