Olivier Cyran, journaliste précaire et militant, planche depuis un bon moment sur l’inégalité sociale face aux soins dentaires. Ce qui lui a initialement donné envie d’écrire ce livre bouillonnant ? Le parcours de soins d’un proche, Bader, qui, dans les années 1990, vers l’âge de 25 ans, s’est fait retirer quasiment toutes ses dents à la suite d’une parodontite non soignée. « Quand tu es pauvre, t’as pas trop le réflexe d’aller chez le dentiste. Il incarne un monde qui n’est pas le tien, où tu ne te sens pas le bienvenu », confie l’ami. Ce dernier a, depuis trente ans maintenant, multiplié les dentiers de mauvaise qualité, gérant bon an, mal an de pénibles souffrances physiques et psychiques.
Pour comprendre ce qui empêche souvent les dentistes libéraux de faire leur travail correctement, l’auteur est parti à la rencontre d’un praticien en burn-out, écrasé par une masse de travail faramineuse. Paul Lafargue (il a choisi un pseudo pour ne pas être identifié par l’Ordre national des chirurgiens-dentistes) ne mâche pas ses mots. Il décrit le champ dentaire comme une « zone sociale de non-droit » et explique comment le modèle libéral incite les dentistes à bâcler les soins de base – refus de soigner les enfants et les personnes âgées, de prendre en charge les bénéficiaires de la CMU, détartrages bâclés, prothèses amenées à se décoller, méthodes obsolètes au vu des nouvelles techniques, composites réalisés à la va-vite qui laisseront passer les caries 1 ou 2 ans plus tard… – au profit « de traitements coûteux, réservés à ceux qui peuvent se les payer ». Paul Lafargue rêve d’un « véritable » système public de la santé bucco-dentaire, « doté de centres accessibles et gratuits délivrant des soins de qualité à tous ».
Le journaliste a également recueilli le témoignage de patients traumatisés par leur passage en centre de soins dentaires low cost. Il s’est par exemple penché sur les déboires de Karen, patiente de Dentalvie en 2013, et de Abdel Aouacheria, l’une des victimes (en 2013 aussi) de Dentexia, entreprise créée par Pascal Steichen et liquidée en 2016 après avoir « escroqué et maltraité » environ 2 000 patients. Abdel a malheureusement cumulé les épreuves : dents arrachées pour rien, prothèses qui s’effritent, hémorragies, infections et douleurs insoutenables. Pour obtenir réparation, il a fondé le Collectif contre Dentexia et rédige actuellement un livre consacré à sa lutte. Un ouvrage qui promet, lui aussi, d’être très… mordant.
Céline Reichel
Sur les dents, Olivier Cyran, La Découverte, 20 euros, 296 pages
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