Un élagage conditionné par l’aversion pour la perte

Les ressorts de la prise de décision

Publié le 13/03/2012
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POURQUOI LES SUJETS déprimés ont-ils une fâcheuse tendance à ne pas prendre les décisions optimales les concernant ? Celles qui « sautent » aux yeux de tous les observateurs extérieurs ? Si les raisons en sont multiples et complexes, des chercheurs en neurosciences de l’University College of London (unité de neuroscience computationnelle Gatsby) apportent un éclairage nouveau sur le phénomène en étudiant les ressorts mis en place lors de la prise de décision.

Face à une situation complexe comportant plusieurs alternatives, la tendance naturelle est de simplifier la stratégie en filtrant certaines options. Le Dr Quentin Huys et coll. ont montré que cet « élagage » se fait le plus souvent de façon inconsciente et est conditionné par l’aversion pour la perte immédiate. Si ce conditionnement pavlovien est universellement partagé, les sujets déprimés auraient, plus que les autres, tendance à écarter d’emblée des pans entiers d’éventualités. Au risque de se priver de solutions qui, à terme, auraient pu, pourtant, donner des bénéfices supérieurs. « Le réflexe de mettre de côté un certain nombre d’options possibles est à double tranchant, explique le Dr Neil Eshel, co-auteur de l’étude. S’il est nécessaire pour simplifier des décisions compliquées, il peut mener aussi à des choix médiocres. »

Théorie de la sérotonine

Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont analysé à l’aide de statistiques très sophistiquées les réponses à des évaluations mentales de 46 volontaires sans antécédent psychiatrique majeur. Ces tests présentés sous forme d’arbres décisionnels plus ou moins complexes consistaient ainsi à prendre une série de décisions, où chaque étape comportait une perte ou un gain d’argent. Et là, l’équipe du Dr Quentin Huys a observé que les participants évitaient consciencieusement les « branches » où la perte initiale était conséquente… même si ce chemin aurait pu leur offrir un gain supérieur au final. Les sujets seraient plus sensibles à la punition qu’à la récompense. De façon très intéressante, plus les participants avaient tendance à élaguer de façon « aveugle », plus ils étaient à même d’avoir présenté des symptômes dépressifs par le passé.

Le Dr Huys illustre ainsi la théorie en donnant l’exemple de l’organisation des vacances. « Vous ne pouvez pas prendre en compte toutes destinations du monde. Pour réduire le nombre d’options, vous pouvez intuitivement éviter celles nécessitant plus de 5 heures de vol parce vous n’aimez pas l’avion. Cette stratégie vous simplifie l’organisation et vous garantit d’éviter un long trajet pénible. Mais cela signifie aussi que vous laissez peut-être filer un merveilleux voyage dans un pays exotique. » Les neuroscientifiques britanniques suggèrent que la tendance à réduire intuitivement les choix est influencée par les troubles de l’humeur. Ces résultats semblent ainsi conforter les théories de l’inhibition comportementale de type pavlovienne, impliquant la sérotonine. Le neurotransmetteur, bien connu pour être impliqué dans l’évitement et la dépression, y jouerait un rôle central. Les auteurs concluent qu’il serait intéressant d’étudier la corrélation entre la propension à élaguer et les taux de sérotonine chez les sujets déprimés.

PLoS Computational Biology, publié en ligne le 8 mars 2012. PLoS Comput Biol 8(3):e1002410. doi:10.1371/journal.pcbi.1002410

 Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9097