Lipothymies sous digitaliques à l'occasion d'une gastro-entérite

Publié le 16/11/1999
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Lipothymies sous digitaliques

Lipothymies sous digitaliques
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Maladie mitrale


Une femme âgée de 82 ans a une maladie mitrale ancienne. Elle est en arythmie complète par fibrillation auriculaire depuis des années, arythmie ralentie par la prise d'un comprimé de Digoxine par jour. La tolérance hémodynamique de la valvulopathie est à peu près satisfaisante avec une dose modérée de diurétiques, 40 mg de Lasilix par jour et une compensation potassique. Il y a quelques jours, la patiente fait une gastro-entérite fébrile avec nausées, vomissements, inappétence alimentaire et une diarrhée assez abondante. Depuis hier sont apparus des malaises lipothymiques. L'examen clinique révèle un pouls irrégulier et lent, fait nouveau et surtout curieux dans un tel contexte fébrile. La pratique d'un ECG s'impose.


Quel est votre diagnostic ?


1) Bloc auriculo-ventriculaire complet sur fond d'arythmie complète par fibrillation auriculaire.
2) Brady-arythmie complète par fibrillation auriculaire avec hyperexcitabilité ventriculaire.
3) Ebauche de torsades de pointes sur fond de fibrillation auriculaire.


Réponse


La bonne réponse est la 2.
Le tracé montre les faits suivants.
- Une fibrillation auriculaire : fine trémulation de la ligne isoélectrique visible en V1.
- Une brady-arythmie complète : les ventriculogrammes sont lents, 35-40 par minute, et irrégulièrement espacés. L'irrégularité des QRS témoigne que les influx auriculaires de la fibrillation auriculaire franchissent le nœud auriculo-ventriculaire pour aller dépolariser les ventricules : il n'y a pas d'interruption entre oreillettes et ventricules, la patiente n'est donc pas en bloc auriculo-ventriculaire complet. Par contre, la lenteur des QRS témoigne d'un très net trouble de la conduction nodale.
- Les QRS sont larges et il en existe plusieurs types :
a) Les QRS 1, 3, 4 et 5 de la bande du haut (I, II, III) et les QRS 1, 3, 5 et 7 de la bande du bas (1, 2, 3) sont à type de retard droit (positivité terminale en V1, onde S terminale large en D1). Leur axe est à environ - 20 degrés. Ils sont vraisemblablement d'origine supra-ventriculaire car ce sont eux qui ont une fréquence lente.
b) Les autres QRS larges ont un axe et une morphologie différents ; ils surviennent de façon prématurée après les précédents : il s'agit d'extrasystoles ventriculaires. Leur couplage est relativement fixe avec le QRS d'origine sinusale et, le plus souvent, elles surviennent une fois sur deux (bande du bas) : il s'agit d'extrasystoles ventriculaires bigéminées. Enfin, toutes ces ESV n'ont pas la même morphologie (ex : la 1re et la 2e ESV de la bande du haut) : les ESV sont polymorphes.
- À noter une repolarisation concave en haut bien visible en V2 et V3 témoignant d'une cupule digitalique.


Aggravation récente de la fonction rénale


Brady-arythmie, extrasystoles ventriculaires bigéminées et polymorphes : cet ensemble est tout à fait évocateur d'un surdosage digitalique. À ce stade où il n'y a pas de salve de tachycardie ventriculaire, de tachycardie jonctionnelle ou de très grande bradycardie, on ne peut parler d'intoxication digitalique.
L'origine de ce surdosage digitalique chez une patiente jusque-là bien équilibrée par la même posologie de Digoxine fait soupçonner une aggravation récente de la fonction rénale et donc une diminution de l'élimination rénale de la Digoxine. L'origine de l'insuffisance rénale fonctionnelle est claire : la déshydratation par fièvre, diarrhée et vomissements consécutifs à la gastro-entérite.

> Dr Jean-Claude KAHN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6590