L’art est souvent en avance sur la politique. L’œuvre de Frida Kahlo, au-delà de sa popularité, est aussi l’illustration unique de son dossier médical. La représentation de la souffrance, physique et psychique grâce à une créativité folle par la malade frappe le spectateur. Et impose définitivement le patient dans l’histoire de l’art. Le regard de la société sera définitivement changé, sans recourir à la loi. Morte le 13 juillet 1954, à la suite d’une prise trop élevée de barbituriques et d’analgésiques, Frida Kahlo est pourtant loin de militer, à l’image dans les années quatre-vingt des patients atteints par le VIH, pour l’obtention de nouveaux droits aux malades. Domine encore le modèle paternaliste, célébré par la peintre. Il n’y a pas de hasard si ses deux derniers portraits peints en 1951 sont consacrés à son père jeune et à un autoportrait avec le portrait du Dr Farril. Dans un livre qui vient de paraître (1), Helga Prignitz-Poda rapporte qu’en 1950 Frida Kahlo a subi sept opérations au niveau du rachis et passé neuf mois à l’hôpital. « Le Dr Farril m’a sauvée. Il m’a redonné la joie de vivre. Je suis encore sur un fauteuil roulant et je ne sais pas si je remarcherai bientôt. Je porte un corset de plâtre, un épouvantable fardeau qui m’aide malgré tout à soulager mon dos. Je n’éprouve pas de douleurs. Je suis seulement ivre… de fatigue, et, comme c’est normal, très souvent désespérée. Un désespoir qu’aucun mot ne peut décrire. En revanche j’ai envie de vivre », écrit-elle dans son journal ». Helga Prignitz-Poda refuse de reconnaître « une expression de reconnaissance dans ce tableau ». Alexis Drahos y voit en revanche un hommage à son sauveur. Mais au-delà du débat d’interprétation, ce n’est pas la première fois, qu’elle célèbre « son » médecin. En 1931 déjà, elle consacrait un tableau au Dr Leo Eloesser. Mais c’est avec son autoportrait La Colonne brisée (1944) qu’elle signe l’une de ses œuvres les plus emblématiques. Tableau ouvert à la manière d’un livre, Frida Kahlo nous donne à voir son corps de douleurs et son désarroi psychique. L’accident de 1925 au cours duquel elle est transpercée par une barre d’autobus sera à l’origine de trop nombreuses interventions chirurgicales traduites par cette colonne ionique brisée à plusieurs endroits, symbole peut-être d’une reconstruction grâce à l’art. Elle ne nous cache rien de sa souffrance au travers de ses larmes qui ruisselle sur son visage. Quant aux clous plantés sur toute la surface du corps, on y a vu bien sûr une référence à la souffrance du Christ sur la croix. Helga Prignitz-Poda préfère y reconnaître les tortures infligées par son mari, le célèbre Diego Rivera du fait de ses multiples infidélités. Et décèle non pas une référence à la crucifixion, voire à saint Sébastien mais plutôt à la divinité indienne Parvati qui aurait accepté toutes les épreuves de mortification et une longue période d’ascèse avant de s’unir au dieu Shiva. Ces multiples blessures ne résument pas cette trajectoire de souffrance. S’y greffe aussi l’impossibilité d’avoir été mère évoquée par de nombreuses allusions dans l’œuvre. Alors faute d’une nativité, Frida Kahlo nous livre un tableau sur sa naissance (1932) qui ne dissimule rien de la matérialité d’un accouchement. C’est une autre Origine du monde saisissante, unique dans l’art occidental qui a « oublié » de représenter le moment de l’accouchement. À la fin de sa vie, le regard allégorique, visionnaire se trouble, s’aveugle ? Dans une de ses dernières œuvres peinte l’année de sa mort en 1954, intitulée Le marxisme donnera la santé aux malades, l’ancienne maîtresse de Léon Trotsky rend hommage au camarade Staline. Il est des moments où l’art est en retard sur la politique.
(1) Frida Khalo par Helga Prignitz-Poa, nouvelle édition de la monographie parue en 2003, 264 pages, 176 illustrations, relié, éditions Gallimard, 35 euros.
(2) opus cité, p.287.
(3) Exposition « Frida Khalo », au Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, du 15 septembre 2022 au 5 mars 2023.
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