Évaluée pour la première fois sur de grandes banques de données, notamment le GRPD (Royaume-Uni), l’incidence de la rosacée a été estimée à 1,65 % (1). En Irlande, d'après une étude sur plus de 1 000 travailleurs la prévalence de la rosacée papulopustuleuse est de 2,7 %. « Ils étaient examinés par des dermatologues, les données sont solides », souligne le Pr Cribier. En Allemagne, une étude (2) évalue la prévalence de la rosacée à 2,3 % sur 90 880 travailleurs de l’industrie examinés corps entier par des dermatologues.
Et en population générale ? Pour déterminer la prévalence de la rosacée, un instrument de screening a été élaboré (3) [panel représentatif, questionnaire + algorithme de diagnostic, sensibilité : 100 %, spécificité : 63 à 71 %]. Des adultes dépistés étaient ensuite tirés au sort et vus par un dermatologue dans l’étude RISE (4) (prévalence ajustée : en Russie 5 %, en Allemagne 12,3 %). « De nombreux patients ne consultent jamais. La prévalence est probablement plus élevée en Europe que ce que l’on pensait », note le Pr Cribier.
L’effet de la chaleur est confirmé (5) : les femmes exposées à la très forte chaleur des fours tandoori ont une très nette augmentation de la rosacée (mais aussi une diminution de l'acné) par rapport à celles non exposées.
Comorbidités rapportées : prudence !
Les codes de diagnostic du système de santé danois fournissent l’exhaustivité des données médicales de 98,9 % de la population. Alexander Egeberg et al. les ont croisées à la recherche d’associations : rosacée et Parkinson, Alzheimer, gliomes cérébraux (6). Leurs publications ont fait le buzz en 2016. Le Pr Cribier invite à la prudence : « Ils présentent des chiffres, sans analyse des facteurs confondants ni hypothèses physiopathologiques. Les hasards ratio sont faibles (environ 1,2). Les diagnostics de rosacée sont-ils fiables ? ».
Concernant la physiopathologie de la rosacée, la piste de l’immunité innée se précise. Virus, parasites, mais aussi soleil… la mettent en jeu. La rosacée est-elle la bénédiction (7) – et non la malédiction — des Celtes ? Stimulant l’immunité innée, elle pourrait pallier l’absence de soleil hivernal des pays nordiques !
L’immunité innée se met en jeu lorsqu’un évènement stimule les récepteurs TLR et déclenche via des métalloprotéases, l’augmentation de peptides pro-inflammatoires. Ces peptides (extraits de peau rosacée) induisent une inflammation dose-dépendante chez l’animal ; ils diminuent chez les patients traités. « Or les cyclines (traitement de référence de la rosacée) agissent sur des métalloprotéases et diminuent ces peptides de l’immunité innée », note le Pr Cribier.
Quel est le rôle du Demodex folliculorum ? La densité est plus forte dans la rosacée, stimule-t-il l’immunité innée ? Rares sont les médicaments de la rosacée à avoir une action démontrée sur le nombre des Demodex cutanés. Un essai (8) [visage droit/gauche] montre que le contage de Demodex diminue du côté perméthrine (- 95 % vs -50 % côté excipient), mais sans différence clinique. L’effet est-il indirect ? Le microbiote pro-inflammatoire du Demodex intervient-il ? Bacillus oleronius identifié dans le Demodex est sensible aux cyclines. « En traitant avec des cyclines, nettoie-t-on l’intestin des Demodex ? », s’interroge le Pr Cribier. Des bactéries du Demodex, spécifiques à chaque forme clinique de rosacée, ont été identifiées (9).
À ces phénomènes inflammatoires s’ajoute vraisemblablement une composante neurovasculaire (brûlures, douleurs allodyniques, bouffées vasomotrices…). Des neuromédiateurs vasculaires particuliers sont incriminés. Le laser améliore la sensibilité cutanée. Il a certainement aussi une cible nerveuse. Une prise en charge de cette cible neurovasculaire pourrait émerger.
Nouveautés thérapeutiques
Les cyclines représentent le traitement de référence, mais les traitements sont pour l’instant empiriques. Deux produits anciens ont eu une autorisation de mise sur le marché (AMM) en formulation dermatologique. « La brimonidine gel (AMM 2014) diminue la rougeur par une vasoconstriction purement locale qui persiste 12 heures. L’ivermectine topique à 1 % (AMM 2015) a l’avantage par rapport au métronidazole et à l’acide azélaïque d’une application unique par jour, d’une meilleure tolérance et elle a démontré sa supériorité sur les 2 topiques existants et son excipient » conclut le Pr Cribier.
D’après un entretien avec le Pr Bernard Cribier, CHRU de Strasbourg.
(1) Spoendlin J et al. Br J Dermatol 2012;167:598-605
(2) Augustin M et al. Br J Dermatol 2011;165:865-73
(3) Tan J et al. J Cutan Med Surg 2016;20:317-22
(4) Tan J et al. J Eur Acad Dermatol Venereol 2016;30:428-34
(5) Ozkol HU et al. Int J Dermatol 2015;54:1429-34
(6)Egeberg A et al. JAMA Dermatol 2016;152:541-5
(7) Melnik BC et al. Acta Derm Venereol 2016;92:147-56
(8) Raoufinejad K et al. J Eur Acad Dermatol Venereol 2016;302:105-17
(9) Murillo N et al. Microb Pathog 2014 ;71-72:37-40
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