Une maladie cérébrale progressive ?

Migraine et risque vasculaire : la piste endothéliale

Publié le 10/05/2010
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Crédit photo : PHANIE

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A. Migraine et risque d’infarctus cérébral

Plusieurs études cas-témoins ont montré une association significative entre migraine et infarctus cérébral chez les femmes de moins de 45 ans, surtout si elles présentent des crises de migraine avec aura. Le risque relatif est de 2 à 3 pour l’ensemble des patientes ; de 6 pour les femmes jeunes ayant des migraines avec aura (MA), de 10 chez les migraineuses qui fument, de 14 chez celles qui prennent un contraceptif oral, de 34 chez celles qui ont l’association pilule - tabac. Néanmoins, il s’agit d’un risque relatif car le risque absolu annuel d’infarctus cérébral reste faible dans cette tranche d’âge. Une méta-analyse récente portant sur 11 études cas-témoins et 3 études de cohorte publiées entre 1975 et 2004 confirme une augmentation du risque d’infarctus cérébral chez les migraineux, avec un risque relatif de 2,16 pour l’ensemble des patients, 2,27 pour les MA, 1,83 pour les migraineux sans aura (MSA) et 2,76 pour les femmes migraineuses de moins de 45 ans. L’utilisation de contraceptifs oraux augmente d’environ 8 fois le risque.

Deux grandes études de cohorte ont étudié le même problème sur des populations plus âgées : la Women’s Health Study concerne 39 000 femmes de 45 ans ou plus suivi pendant 9 ans : comparées aux femmes non migraineuses, les femmes avec MSA n’ont pas eu un risque d’infarctus cérébral plus élevé. En revanche, les femmes avec MA ont un risque relatif d’infarctus cérébral de 1,71 ; chez les femmes de 45 à 55 ans, le risque relatif atteignait 2,25.

L’autre étude de cohorte porte sur 12 750 hommes ou femmes âgés de 45 à 64 ans (73 % de ces sujets ayant plus de 55 ans) : le risque relatif d’infarctus cérébral reste significativement élevé (2,7) dans la MA, ce qui n’est pas le cas dans la MSA.

L’association significative entre migraine et infarctus cérébral a été également démontrée chez l’homme et au-delà de 45 ans, mais passé cet âge le lien ne reste significatif que dans les MA.

L’utilisation d’antimigraineux vasoconstricteurs n’explique pas l’augmentation du risque d’infarctus cérébral, comme cela a été suggéré avec l’ergotamine. Deux grandes études réalisées aux États-Unis et au Royaume-Uni, (200 000 patients), n’ont trouvé aucune association entre l’utilisation des triptans et le risque d’AVC, d’infarctus du myocarde ou d’autres pathologies vasculaires.

Migraine et Infarctus cérébral silencieux

L’étude cas-témoins Camera a été réalisée chez 161 patients ayant MA, 134 MSA et 140 témoins, appariés pour l’âge, le sexe et le lieu de résidence. Tous ont eu une IRM cérébrale. Aucun des participants n’avait d’antécédents d’AVC ou d’AIT, ni d’anomalie à l’examen neurologique. Au total 60 infarctus silencieux ont été mis en évidence chez 31 individus. La majorité (57 %) se situait dans la circulation postérieure notamment dans le cervelet. Dans cette localisation, ces infarctus étaient plus fréquents chez les migraineux (5,4 %) que chez les témoins (0,7 % p = 0,02). Ces infarctus étaient plus souvent mis en évidence dans les MA avec plus d’une crise par mois : dans cette catégorie le risque relatif par rapport aux témoins était multiplié par 16.

Migraine et hypersignaux de la substance blanche

Une méta-analyse récente (Swartz et Kern 2004) a repris les 7 études IRM cas-témoins réalisées pour étudier la relation entre migraine et signaux hyperintenses de la substance blanche sous corticale : elle montre que les migraineux ont un risque 4 fois plus élevé d’avoir des hypersignaux que les non migraineux (23 % des migraineux avaient de telles anomalies contre 7 % des témoins). Cette augmentation du risque est significative, que les sujets aient ou pas d’autres facteurs de risque vasculaire associés.

L’étude Camera a permis de trouver un taux significativement plus élevé d’hypersignaux de la substance blanche sous-corticale chez les femmes migraineuses par rapport aux témoins. Différence non retrouvée chez les hommes. Le risque a été similaire dans les MA et dans les MSA, mais plus élevé avec une fréquence des crises supérieure ou égale à une par mois.

Liens physiopathologiques entre migraine et ischémie cérébrale

Ces liens sont nombreux et encore imparfaitement élucidés.

1. Infarctus migraineux

Il s’agit d’une complication rarissime de la MA bien définie par l’International Headache Society (IHS). Une cinquantaine de cas ont été décrits mais seuls une dizaine ont eu des investigations neurovasculaires exhaustives. En effet, il s’agit d’un diagnostic d’élimination : la céphalée est fréquente lors d’un infarctus cérébral (environ 1/3 des patients), d’autant que les sujets sont jeunes et céphalalgiques au préalable. Il ne faut pas alors confondre la céphalée migraineuse, symptôme d’une affection organique, et la céphalée migraineuse s’intégrant dans la maladie migraineuse.

Dans beaucoup de cas, l’infarctus survient au cours ou au décours d’une MSA et sort donc du cadre strict de l’infarctus migraineux tel que défini par l’IHS.

Selon l’IHS, les symptômes de l’infarctus migraineux doivent reproduire les signes habituels de l’aura migraineuse, persister au-delà d’une heure et s’accompagner de signes neuroradiologiques d’infarctus dans la zone corticale correspondant aux symptômes. Le bilan causal exhaustif de l’infarctus cérébral doit être totalement négatif.

Il paraît évident que le lien direct de cause à effet entre migraine et infarctus cérébral ne peut expliquer à lui seul l’augmentation du risque vasculaire cérébral chez le migraineux, ne serait-ce que parce que, dans la majorité des cas, l’infarctus cérébral survient chez le migraineux en dehors de toute crise. D’autres facteurs entrent donc en jeu pour expliquer l’augmentation du risque vasculaire chez les migraineux.

2 – Dissections artérielles et foramen ovale perméable

Il existe une association significative entre migraine et certains facteurs de risque reconnus d’infarctus cérébral :

- dissections artérielles cervicales : elles sont 2 fois plus fréquentes chez les migraineux que chez les non migraineux, 6 fois plus fréquentes en cas de dissections multiples ;

- Foramen ovale perméable (FOP) : il est 2 à 3 fois plus fréquent chez les sujets ayant des MA que chez les témoins non migraineux mais il s’agit vraisemblablement d’une simple comorbidité ou d’une co-ségrégation génétique.

L’étude MIST (Migraine Intervention with STARFlex Technology), étude prospective, multicentrique, en double-aveugle, contre placebo, visant à évaluer l’efficacité et la sécurité de la fermeture des FOP par voie percutanée chez les patients migraineux a été négative. Des cas de tamponnade, d’hémorragie péricardique, de douleur thoracique, d’épistaxis, de saignement au point de ponction, de saignement rétropéritonéal, de fibrillation auriculaire, d’anémie ont été notés concernant la tolérance et les effets indésirables graves, ces derniers étant directement en rapport avec la procédure. Un cas d’infarctus du tronc cérébral est survenu 1 mois après l’intervention chez un témoin.

L’étude MIST est donc négative avec un nombre non négligeable d’incidents imputable à la procédure ; il n’y a donc aucune indication de fermeture du FOP dans la migraine en dehors d’un essai contrôlé.

3. Autres facteurs de risque

Une étude récente réalisée en Hollande en population générale a comparé la prévalence des facteurs de risque vasculaire « classiques » chez des migraineux (31 % MA et 64 % MSA) et des non-migraineux. Les migraineux fumaient davantage, consommaient moins d’alcool. Les sujets ayant des MA avaient plus souvent un profil cholestérolémique défavorable et une hypertension artérielle. Les femmes ayant des MA utilisaient plus souvent une contraception orale. Ainsi dans cette étude, les migraineux, et en particulier ceux avec aura, avaient un profil de risque cardiovasculaire plus élevé que les individus non migraineux.

L’utilisation répétée de vasoconstricteurs pourrait constituer un facteur de risque indépendant chez les migraineux, mais deux récentes études n’ont pas montré d’augmentation du risque vasculaire cérébral ou coronarien chez les utilisateurs de triptans.

B. Risque vasculaire coronaire

Lors d’une étude ancillaire de la Women Health Study portant sur 39 76 femmes de plus de 45 ans suivies 10 ans, traitées par aspirine 100 mg tous 2 jours ou placebo, 27 840 femmes ont été interrogées sur leur statut migraineux : 18,4 % d’entre elles avaient des antécédents migraineux. Une augmentation du risque cardiovasculaire a été individualisée par T. Kurth et col. chez ces dernières (RR : 2.15, p < .001).

Par ailleurs, la MA a été également associée à un profil de risque cardiovasculaire défavorable conduisant à une augmentation du risque à 10 ans de cardiopathies ischémiques selon l’échelle de risque de Framingham.

La piste de la dysfonction endothéliale

Depuis quelques mois, de nombreuses publications font donc état d’une augmentation du risque vasculaire global et notamment coronaire chez les migraineux. Une dysfonction endothéliale chez le migraineux serait en partie à l’origine de cette augmentation du risque vasculaire. Tietjen et coll. ont réalisé une étude cas-témoins, chez des femmes américaines âgées de 18 à 50 ans, indemnes de facteurs de risque vasculaires traditionnels (61 MA, 64 MSA et 50 contrôles), avec dosage de différents biomarqueurs de l’activation endothéliale (activité von Willebrand, fragments de prothrombine F1 et F2, activité fibrinolytique par le biais du dosage du tPa, marqueurs inflammatoires notamment la CRP ultra sensible (CRPus), métabolites du stress oxydatifs tels l’homocystéine, concentration nirates/nitrites et les TBARS, substances réagissant avec l’acide thiobarbiturique). Les migraineuses avaient une activité von Willebrand significativement augmentée avec un risque relatif, dans les MA à 6,51 et à 4,59 dans les MSA ; une élévation significative de la CRPus avec un risque relatif à 7,99 dans les MA mais avec une tendance non significative dans les MSA avec un risque relatif à 2,63 ; des concentrations plasmatiques significativement plus basses de nitrate/nitrite avec un risque relatif à 6,60 dans la MA mais pas dans la MSA. De plus, l’activité von Willebrand était corrélée significativement au taux d’antigène circulant du tPA (p = 0,035) et à la concentration nitrate/nitrite (p = 0,024) chez les migraineuses avec une tendance, non significative, à une corrélation également avec la CRPus (p =0.09). L’ensemble de ces résultats plaide pour une augmentation de l’activation endothéliale avec possible dysfonction induite ce qui pourrait expliquer le sur risque vasculaire dans la MA. En effet, le facteur von Willebrand active les récepteurs plaquettaires Gb IIbIIIa entraînant une hyperaggrégabilité plaquettaire. La CRPus, biomarqueur non spécifique de l’inflammation, augmente la production de métalloprotéinases qui ont un rôle destructeur sur la paroi artérielle. Le stress oxydatif se caractérise par une réduction des biomarqueurs vasodilatateurs tels les métabolites issus de la synthèse de NO endothélial (dosage nitrates/nitrites). Une diminution de l’antigène tPA circulant reflète une moindre capacité de fibrinolyse spontanée et donc un état d’hypercoagulabilité. De plus, il a été récemment montré que l’activation endothéliale, via notamment l’endothéline 1, peut dans un modèle expérimental animal, entraîner une dépression neuronale envahissante, pierre de touche angulaire de la physiopathologie de la crise migraineuse. Ceci implique que la dysfonction endothéliale pourrait être un facteur causal de crises plutôt que la conséquence de crises répétées comme cela a été suggéré et être le primum movens du risque vasculaire dans la migraine.

Conflit d’intérêts : investigateur principal ou co-investigateur d’essais cliniques ou mission de conseils ou intervenant avec les laboratoires suivants : Allergan, Almirall, Astra Zeneca, Boehringer Ingelheim, Bouchara Recordati, GSK, Ménarini, MSD, Pfizer, Sanofi-Synthélabo, Servier

Dr CHRISTIAN LUCAS Service de Neurologie et pathologie Neurovasculaire, hôpital Salengro, Lille.

Source : Le Quotidien du Médecin: 8767