Traitement de la maladie thrombœmbolique veineuse

Mode d’emploi des nouveaux antithrombotiques

Publié le 19/05/2011
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LES NOUVEAUX anticoagulants appartiennent soit à la classe des anti-Xa (rivaroxaban, apixaban, edoxaban qui n’a pas encore d’AMM), soit à celle des anti-IIa (dabigatran). Leur particularité est de pouvoir être donnés per os, à raison d’une ou deux prises quotidiennes. « Il s’agit de molécules rapidement absorbées, en un temps maximal de deux heures environ, dont la demi-vie d’élimination est de l’ordre de 12 heures. Le dabigatran est éliminé essentiellement par le rein, alors que le rivaroxaban et l’apixaban sont à élimination mixte. Leur variabilité étant supposée faible, il n’y a pas d’ajustement posologique à envisager et donc pas de surveillance biologique particulière » explique le Pr Mismetti. En revanche, ces nouveaux antithrombotiques n’évitent pas les problèmes d’interactions médicamenteuses tels ceux rencontrés avec les AVK. Dans la mesure où 40 % des patients de la population cible de ces nouveaux anticoagulants sont âgés de plus de 75 ans et reçoivent au moins un médicament susceptible d’interagir avec eux, il est nécessaire d’en connaître les précautions d’emploi…

Un risque de récidive accru au cours des premiers jours.

L’histoire du ximélagatran (un inhibiteur direct de la thrombine actif par voie orale dont le développement a été abandonné en raison d’une toxicité hépatique) et de l’idraparinux (administré, par voie sous-cutanée, à raison d’une injection par semaine) est intéressante. En effet, une étude publiée en 2005 montrait que le ximélagatran était au moins aussi efficace qu’un traitement par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) avec un relais par une antivitamine K pour la prévention des thromboses veineuses et des embolies pulmonaires, du moins, au sixième mois, avec 2 % de récidive dans les deux groupes. Mais, il y avait eu davantage de récidives sous ximélagatran lors des deux premières semaines de traitement. Les auteurs en ont conclu que le ximélagatran était aussi efficace que l’héparine, sauf en début de traitement. Le même phénomène a été constaté en 2007 avec l’idraparinux dans le traitement des embolies pulmonaires où les résultats étaient du même ordre, avec cependant un risque de récidive plus important dans les premiers jours de traitement qu’avec le traitement conventionnel. « Puisque cette première période est à risque, deux possibilités sont envisagées. La première est de laisser un traitement injectable héparinique avant de passer au nouvel anticoagulant. La seconde est de donner d’emblée le nouvel anticoagulant, mais à des doses un peu plus fortes et à condition de réaliser, au préalable, des études de doses spécifiques de la maladie thrombo-embolique veineuse » explique le Pr Mismetti.

Les deux stratégies étayées par des études.

L’étude RE-COVER, publiée en 2009 dans le New England Journal of Medicine (1), a comparé en double aveugle le dabigatran à la warfarine pour la prise en charge des phlébites ou des embolies pulmonaires, après un traitement parentéral initial (héparine ou fondaparinux pendant au moins 5 jours) pour tous les patients. Une équivalence parfaite entre les deux molécules a été constatée. « Les auteurs ont conclu à la non-infériorité du dabigatran par rapport à la warfarine, à la fois pour les phlébites et pour les embolies pulmonaires, tout en rappelant que ces traitements n’étaient pas donnés d’emblée, mais après un traitement initial par l’héparine. Il n’a pas été noté de différence entre les deux molécules en termes de risque hémorragique majeur. Les hémorragies cliniquement significatives ont été significativement moins fréquentes sous dabigatran que sous warfarine. En revanche, davantage de cas de dyspepsie ont été notés dans le groupe dabigatran. Enfin, aucune toxicité hépatique n’a été signalée » précise le Pr Mismetti.

Pour le rivaroxaban, on dispose des résultats de deux études de doses spécifiques à la maladie veineuse thromboembolique. Dans l’étude ODIXa-DVT (2), après un traitement intitial par HBPM, le relais était pris soit par une AVK, soit par le rivaroxaban administré en une seule (40 mg) ou en deux prises par jour (10, 20 ou 30 mg), avec pour critère d’évaluation, un Doppler et une scintigraphie à J0 et à J21. Dans l’étude EINSTEIN, les patients recevaient, soit un traitement conventionnel (traitement initial par HBPM ou héparine non fractionnée et relais par une AVK), soit du rivaroxaban donné en une seule prise quotidienne (20, 30 ou 40 mg), avec un contrôle Doppler et scintigraphique à 3 mois. « À 3 semaines, une dose unique de rivaroxaban a donné des résultats inférieurs à deux prises quotidiennes, et le risque hémorragique a été trop élevé avec 30 mg 2 fois par jour. À 3 mois, le rivaroxaban en une seule prise par jour a fourni des résultats légèrement supérieurs à ceux de l’héparine et des AVK. Les auteurs en ont donc conclu que durant les trois premières semaines, il valait mieux donner le rivaroxaban deux fois par jour (posologie entre 10 et 20 mg 2 fois par jour), puis en une prise par jour les semaines suivantes » poursuit le Pr Mismetti.

Ainsi, dans la phase III de l’étude EINSTEIN publiée l’an dernier dans le New England Journal of Medicine (3) – une étude en ouvert, réalisée chez des patients avec une thrombose veineuse profonde proximale – le rivaroxaban a été administré à la dose de 15 mg 2 fois par jour pendant 21 jours, puis de 20 mg une fois par jour pendant 3, 6 ou 12 mois. Les résultats montrent qu’il est au moins aussi efficace et au moins aussi sûr que le traitement conventionnel à un an.

Enfin, dans l’étude EINSTEIN extension, le rivaroxaban a été donné à raison de 20 mg en une prise quotidienne pendant 6 mois, comparativement à un placebo, chez des patients ayant déjà reçu 6 mois de traitement anticoagulant, afin d’en savoir plus sur la durée optimale de traitement. « Il en ressort que prolonger le rivaroxaban est très efficace (1,3 % contre 7,1 % de récidive), avec un surcroît de risque hémorragique modéré », commente le Pr Mismetti.

La place des nouveaux anticoagulants se précise donc. On attend cependant encore plusieurs résultats, comme ceux de l’étude EINSTEIN dans l’embolie pulmonaire, celle de la phase III de l’apixaban (étude AMPLIFY, en cours), celle de l’edoxaban (étude HOKUSAI) et d’autres études sur la durée de traitement, soit contre placebo (EINSTEIN extension, AMPLIFY extension, RE-SONATE), soit contre AVK (étude RE-MEDY avec le dabigatran). À suivre !

D’après un entretien avec le Pr Patrick Mismetti, CHU de Saint-Étienne.

(1) Schulman S, Kearon C, Mismetti P. Dabigatran versus warfarin in the treatment of acute venous thromboembolism. N Engl J Med 2009;361(24):2342-52

(2) Treatment of proximal deep-vein thrombosis with the oral direct factor Xa inhibitor rivaroxaban (BAY 59-7939): the ODIXa-DVT (Oral Direct Factor Xa Inhibitor BAY 59-7939 in Patients With Acute Symptomatic Deep-Vein Thrombosis) study. Agnelli G, Gallus A, Goldhaber SZ. Circulation 2007;116(2):180-7.

(3) Bauersachs R, Berkowitz SD, Brenner B. Oral rivaroxaban for symptomatic venous thromboembolism.

N Engl J Med 2010;363(26):2499-510.

Dr NATHALIE SZAPIRO

Source : Bilan spécialistes