Traitement du mélanome aux stades précoces

« Nous sommes en train de bousculer complètement nos standards »

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Publié le 26/11/2018
Pr Caroline Robert

Pr Caroline Robert
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LE QUOTIDIEN : Quelles sont les derniers résultats majeurs avec des thérapies adjuvantes ?

Pr CAROLINE ROBERT : L’essai randomisé COMBI-AD a évalué la combinaison dabrafenib - trametenib versus un placebo dans les mélanomes BRAF mutés. Avec 44 mois de recul médian, les résultats actualisés présentés dernièrement à l’ESMO (1) sont positifs : le risque de récidive était diminué de 51% avec l’association (HR=0,49). Dans la précédente analyse à 3 ans publiée l’année dernière, la survie globale était également prolongée (2).

Concernant l’immunothérapie, utilisée indépendamment de la mutation de BRAF, nous avons eu récemment deux essais majeurs avec des anti-PD1 chez des patients avec un risque élevé de récidive (atteintes ganglionnaires ou tumeurs de stade IV réséquées). L’un compare le nivolumab à l’ipilimumab 10 mg/kg et montre un bénéfice en termes de survie sans récidive (HR=0,65). L’autre, présenté au congrès de l’AACR, évalue le pembrolizumab par rapport au placebo et met en évidence une diminution de 43% du risque de récidive (HR=0,57). Concernant la survie globale, elle sera probablement positive mais les résultats ne sont pas encore assez matures.

L’association dabrafenib-trametenib, le nivolumab et le pembrolizumab ont été acceptés en recommandation temporaire d’utilisation (RTU) et nous allons prochainement enfin pouvoir les utiliser en France, dès la parution de l’arrêté.

Entre la thérapie ciblée et l’immunothérapie, quelle stratégie thérapeutique privilégier en cas de mutation BRAF ?

Les deux sont efficaces. Cependant, les essais cliniques sont davantage matures avec la combinaison dabrafenib – trametenib, dont les résultats ont surpris de façon très positive la communauté scientifique. Le traitement étant administré pendant un an, on pouvait craindre un effondrement de la courbe de survie sans récidive dans la deuxième année car, au stade métastatique, les thérapies ciblées ne doivent pas être arrêtées sous peine d’augmentation du risque de récidive. Or, cela ne semble pas être le cas et la courbe reste nettement au-dessus de celle des patients ayant pris le placebo. Peut-être qu’en présence d’une petite charge tumorale, la thérapie ciblée parvient à éradiquer complètement la tumeur. C’est très encourageant !

Quelles sont les principales toxicités retrouvées en adjuvant ?

Avec l’association dabrafenib – trametenib, on observe toutes les toxicités habituelles des thérapies ciblées (fièvre, fatigue, diarhées, douleurs articulaires, …). La fièvre et les frissons peuvent entraîner une diminution de doses ou une interruption du traitement. Les effets sont très rarement graves et quasiment toujours réversibles.

Avec les anti-PD1 (nivolumab, pembrolizumab), les effets secondaires sont deux fois moins fréquents (environ 15 % de grade≥3). On retrouve notamment des évènements cutanés, peu gênants, - rashs, prurits, éruptions lichénoïdes ou psoriasiformes - et de très rares cas de maladies dermatologiques graves comme les syndromes le Lyell. Certaines toxicités peuvent cependant être permanentes, avec dans de très rares cas l’apparition d’un diabète de type I (moins de 1 %). De plus, il y a 12 % de risque d’observer un dysfonctionnement de la thyroïde, qui nécessitera probablement à vie une hormonothérapie substitutive. Exceptionnellement, des cas de myocardites gravissimes, voire mortels, ont été rapportés

En néoadjuvant, quels sont les derniers résultats des essais ?

Deux études viennent d’être publiées avec la combinaison ipilimumab-nivolumab. Un essai hollandais a comparé cette association en néoadjuvant versus en adjuvant (3). Quant à l’étude américaine, elle l’a évaluée par rapport au nivolumab seul en néoadjuvant (4). Il reste difficile de conclure sur l’efficacité à long terme car il s’agit de petites séries avec peu de patients. Pour des raisons de toxicité avec la combinaison et de manque d’efficacité avec la monothérapie, l’étude américaine a dû être arrêtée. De même, dans l’essai hollandais, 9 patients sur 10 ont développé des toxicités de grade≥3. Si ces protocoles ont été considérés comme non faisables, ces études étaient intéressantes car la grande majorité des patients traités par la combinaison en néoadjuvant ont présenté des réponses pathologiques complètes. Dans l’étude hollandaise, les lymphocytes spécifiques des antigènes tumoraux ont été retrouvés plus fréquemment dans le sang après le traitement néoadjuvant qu’après son administration en adjuvant. La thérapie néoadjuvante pourrait donc bien permettre de diminuer l’émergence de métastases à distance. Initialement, l’objectif attendu était différent de celui poursuivi dans les autres cancers où les traitements néoadjuvants sont des chimiothérapies de réduction tumorale, dans le cancer du sein par exemple. Comme on sait que la taille de la tumeur pourrait ne pas diminuer, voire même d’augmenter, le but était plutôt d’obtenir une réponse immunologique plus forte grâce à la présence de la lésion primitive laissée en place le temps du traitement. Néanmoins, malgré les fortes toxicités associées à ces essais, la réponse à l’immunothérapie et les résultats d’immunomonitoring étaient très encourageants. .

Par ailleurs, une étude menée chez 21 patients (5) a évalué l’association dabrafenib-trametinib administrée en néoadjuvant et en adjuvant par rapport à un protocole standard (sans néoadjuvant). Il a été observé une meilleure réponse pathologique et moins de récidives. Après 18,6 mois de suivi, 71 % des patients, soit 10 sur les 14 traités en néoadjuvant, n’avaient pas progressé contre aucun des 7 patients de l’autre bras. La survie sans récidive atteignait 19,7 mois dans le groupe néoadjuvant versus 2,9 mois dans le bras standard (HR=0,016 ; p<0·0001). 

Tous ces résultats nous montrent que nous sommes en train de bousculer complètement nos standards et de remettre en cause la place de la chirurgie. 

Quelle sera à l’avenir l’évolution de la stratégie thérapeutique aux stades précoces de la maladie ?

Nous allons continuer à expérimenter les traitements néoadjuvants, qui se révéleront peut-être meilleurs que les thérapies adjuvantes. Il y a déjà des modèles précliniques qui comparent adjuvant et néoadjuvant et tendent à montrer qu’il est préférable de traiter en néoadjuvant. Néanmoins, cela risque d’être difficile à comparer en clinique car dans les essais il ne sera pas éthique de ne pas administrer de traitement adjuvant. La comparaison se fera probablement entre deux protocoles adjuvants, avec ou sans traitement néoadjuvant, comme dans l’essai avec l’association dabrafenib-trametinib (5).

(1)    Long GV et al. ESMO 2018 https://oncologypro.esmo.org
(2)    Long GV et al. N Eng J Med 2017 Nov 9;377(19):1813-1823
(3)    Blank CU et al. Nature Medicine; Published online 8 October 2018. doi: 10.1038/s41591-018-0198-0.
(4)    Amaria RN et al. Nature Medicine; Published online 8 October 2018. doi: 10.1038/s41591-018-0197-1.
(5)    Amaria R. N. et al. The Lancet Oncology Feb 2018, Vol 9 issue 2 : 181-193 ; DOI: https://doi.org/10.1016/S1470-2045(18)30015-9

Propos recueillis par Karelle Goutorbe

Source : Bilan Spécialiste