Obstétrique : médecins excédés et sages-femmes surmenées

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Publié le 04/07/2016
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Le Dr Angaman Didia soupire. Cent patientes sur la liste des évacuations sanitaires (Evasan), c’est sa limite éthique. Depuis plusieurs mois, le chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Mamoudzou n'en peut plus de « ce petit jeu de comptabilité » qui met à mal sa patience, sa santé et surtout sa responsabilité.

110 patientes attendent depuis septembre 2015 d’être évacuées de Mayotte, faute de place au bloc, saturé par les urgences. Hystérectomie, suspicion de masse ovarienne, kyste… Ces opérations programmées ne sont pourtant pas anodines. Mi-juin, une patiente de la liste, polytransfusée, souffrant d’un fibrome et d’une cardiopathie, est décédée. Les autres ? « On ne sait même pas si elles sont toujours en vie. »

Le Dr Didia dénonce une « dérive sanitaire » et il n'est pas le seul. En avril, deux autres médecins se sont joints à lui pour écrire tout net à la commission médicale d'établissement (CME) leur refus d'endosser la responsabilité pour des césariennes prophylactiques pratiquées une semaine en dehors des délais habituels, opération validée en staff en raison de la crise sanitaire sans précédent que traverse Mayotte. « C'était la goutte d'eau », constate le Dr Didia.

Pousser les murs

En 2015, l’hôpital a vu naître 5 000 enfants. En gynécologie-obstétrique, l’activité a bondi de 162 % malgré le turnover ravageur (7 à 12 médecins et 80 à 120 sages-femmes selon les périodes). L’unique plateau technique de l’île, certes bien équipé, est sous-dimensionné par rapport aux besoins toujours croissants. Les lits ont triplé en néonatalogie. En pédiatrie, on pousse les murs. La salle de jeu a été divisée par deux, la biberonnerie transformée en nouvelle chambre, au grand dam des équipes.

« On n’arrive pas à suivre les soins des patients, qui entrent souvent à l’hôpital avec un état de santé très dégradé, soupire le Dr Chamouine Abdourahim, 44 ans, chef du pôle enfant. On jugule la mortalité mais on crée de la morbidité. On n’a pas le temps de relever la tête et les délais d’attente laissent le temps aux pathologies de s’installer. » Avec les départs précipités, les vacances et la fin du Ramadan qui devrait relancer l'activité médicale, le médecin craint un mois de juillet « critique ».

Ventouses et Bakri délégués

Dans les autres établissements de l’île, les sages-femmes sont aussi à la peine. Très actives, elles « font tourner » les maternités en totale autonomie, sans médecins et même parfois sans cadre pour les superviser. Formées par des PU-PH de la Réunion, elles peuvent poser ventouses et ballonnets de Bakri en cas d'hémorragie. Certaines font des échographies, avec ou sans diplôme. Dans l'ensemble, les médecins – généralistes en tête – leur vouent une certaine admiration.

Dans le dispensaire de Dzaoudzi à la beauté mauresque, situé sur l'île de Petite-Terre, à un quart d'heure en bateau de Mamoudzou, les sages-femmes assurent un accouchement par jour. Les généralistes signent la sortie de maternité. La structure est aussi le premier sas sanitaire pour les parturientes comoriennes placées en détention au centre de rétention administrative (CRA) tout proche.

« Elles arrivent ici épuisées, exténuées, la peur au ventre, témoigne Rebecca, qui travaille avec un traducteur et reconnaît « [avoir] la pression » régulièrement. Les passeurs leur font la vie dure. » D'autres sages-femmes sont moins tendres. Aux dires de plusieurs d'entre elles, nombre de Comoriennes enceintes se rendent dans une maternité de l'île à la dernière minute pour être sûres d'accoucher dans le département français, et apporter ainsi à leur enfant – le droit du sol s'appliquant – un avenir plus rose qu'aux Comores dévastées par la pauvreté. Selon l'agence régionale de santé (ARS), six femmes sur dix qui accouchent à Mayotte n'ont pas de droits sociaux.

 

 

 

 

 

 

 


Source : Le Quotidien du médecin: 9510