Plaidoyer pour une mort digne

Publié le 08/01/2021
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Dans Pour qu’il soit le dernier,François Lambert, le neveu de Vincent, revient surl’affaire qui a électrisé le débat sur la fin de vie entre 2013 et 2019. Pleinement engagé contre l’acharnement thérapeutique de Vincent en état végétatif, le cinéaste, devenu avocat, formule des propositions pour éviter qu’une telle situation sereproduise. Un ouvragepudique, sincère et engagé.

Vincent Lambert est devenu le symbole du débat sur la fin de vie des années 2010 en France. Après un très grave accident de la route en 2008, l’infirmier de Châlons-en-Champagne, alors âgé de 32 ans, se trouve dans un état de conscience minimal. Il y restera plongé pendant 11 ans. En mai 2014, une IRM cérébrale révèle que son état s’est encore dégradé et qu’« on ne lui trouve plus aucune conscience ». Mais il ne décédera qu’en juillet 2019, après une ultime décision d’arrêt des traitements et au terme d’une interminable guerre judiciaire. Dans Pour qu’il soit le dernier, son neveu François, de quatre ans son cadet, relate cette exténuante bataille qu’il a livrée, de même que Rachel, la femme de Vincent, contre certains médecins, les parents de Vincent et la justice pour que cesse l’acharnement médical.

Vincent, instrumentalisé par des parents « pro-vie »

Le combat s’engage véritablement en 2013, lorsque le Dr Éric Kariger, chef de pôle et chef de service des soins palliatifs du CHU de Reims, décide de débrancher Vincent Lambert sans qu’en soient avertis ses parents, fervents catholiques – le père est un gynécologue anti-avortement. Un premier faux pas dramatique selon François Lambert. S’estimant floués, ces derniers font en effet appel à des avocats et le tribunal administratif ordonne la reprise des traitements. À partir de là, Vincent devient pour une partie de la famille un « étendard pro-vie » pour défendre une cause qui n’était pas la sienne – le jeune homme aurait un jour confié à son oncle avoir la « hantise » de « finir comme un légume ». François Lambert décide alors de se lancer dans la bataille : il s’emploie à contrecarrer la communication des parents dans les médias et se lance avec ardeur dans des études de droit pour mieux défendre Vincent – il décrochera le barreau à Paris en 2017.

Les insuffisances de la législation française

Si le neveu dénonce l’attitude irrationnelle d’une partie de la famille, il fustige surtout la toute-puissance que la loi Leonetti du 22 avril 2005 accorde à l’équipe médicale. Un texte qui, selon lui, rend le médecin « juge et partie pour ce qu’il a le droit ou non de faire, selon probablement ses propres critères ». Et rappelle qu’en 2015, le Dr Daniela Simon, qui a succédé au Dr Éric Kariger, engageait à son tour la procédure de l’arrêt des traitements avant de rétropédaler face à la forte pression familiale et médiatique. Elle justifiera sa décision par l’absence de « conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure ».

Le principal concerné n’avait pas couché ses souhaits de fin de vie sur le papier. Or, depuis le 2 février 2016, grâce à la loi Claeys-Leonetti, toute personne majeure a la possibilité de rédiger ses « directives anticipées », lesquelles doivent être respectées par l’équipe médicale, abstraction faite de consignes « manifestement inappropriées ». Une avancée tout à fait insuffisante aux yeux de François Lambert, selon qui le texte accorde encore et toujours le dernier mot aux médecins. Le jeune avocat rappelle ainsi qu’en Belgique, « les proches décident, avec une hiérarchie : époux, descendants, parents, frères et sœurs » ; qu’en Albanie, « si le patient n’est pas conscient, ses souhaits sont exprimés par la famille » ; ou encore qu’en Allemagne, le juge nomme la personne « la mieux à même de porter la parole de la personne inconsciente, après avoir entendu tous les membres de la famille ».

Une juridiction spécifique pour parer aux dérives

Dans son dernier chapitre, François Lambert propose la création d’une juridiction qui ne soit pas composée que de juristes mais aussi de médecins, infirmiers et aides-soignants, et dont la saisine pourrait se faire a priori : « au lieu d’attendre d’énièmes procédures comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, un médecin pourrait saisir cette juridiction de lui-même s’il sent que sa décision risque de poser problème », souligne-t-il. Cette juridiction devrait aussi pouvoir « être saisie par les proches d’un patient qui sont favorables à un arrêt des traitements », précise-t-il. Dans le but essentiel de faire rempart, d’un côté comme de l’autre, à toute dérive.

Pour qu’il soit le dernier, Robert Laffont, 240 pages, 19 euros

Céline Reichel

Source : lequotidiendumedecin.fr