Plantes : de la difficulté de vérifier les allégations

Publié le 03/04/2003
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La question est d'actualité : la publication de la directive européenne 2002/46/CE sur les compléments alimentaires, adoptée l'an dernier par le Parlement européen, doit faire l'objet d'une traduction dans le droit français dès la fin de l'année. La réflexion de santé publique qui s'ensuit concerne directement ces compléments alimentaires que sont les plantes. D'autant plus que leur marché fait l'objet d'un engouement croissant des consommateurs.
Or, dans son rapport, le groupe d'experts de l'AFSSA ne cache pas la complexité scientifique et méthodologique à laquelle il s'est heurté : évaluer la sécurité intrinsèque d'une plante est d'autant plus crucial que le profil chimique varie déjà en fonction de l'espèce, de la sous-espèce, de la variété, de l'hybride, voire du chémotype. D'où les accidents, en cas d'erreur d'étiquetage.
Mais quantité d'autres paramètres doivent être pris en compte. Pour une même plante, la composition des constituants change avec la nature de l'organe choisi : les écorces de quinquina biosynthétisent des alcaloïdes à noyau quinoléique comme la quinine, alors que les feuilles accumulent des alcaloïdes à structures indoliques, telle la cinchonamine, aux propriétés très différentes.
La provenance de la plante est aussi très discriminatoire, les racines des ginsengs originaires du Japon, de Chine ou de Corée possédant par exemple des taux et des profils en ginsénosides très différents de ceux cultivés en Amérique du Nord. La période de récolte n'est pas indifférente, non plus que l'âge de la plante, la conduite de la culture ou le traitement employé (séchage, débactérisation, utilisation des rayonnements ionisants...).
D'autres causes d'altération des propriétés nutritionnelles et/ou physiologiques des plantes sont liées aux contaminants d'origine externe qui proviennent des conditions de stockage (moisissures, stérols, mycotoxines...), ou des solvants utilisés lors de l'extraction.
Le mode de consommation, enfin, est déterminant : c'est le cas bien connu de certaines variétés du manioc qui renferment un hétéroside cyanogène dans les parties externes du tubercule ; celui-ci est éliminé lors de la fabrication de la fécule, puis de son chauffage. Les risques de goitre observés dans certaines régions sont ainsi fortement diminués.

La tradition

Cette multitude de paramètres de variabilité entraîne une telle difficulté dans l'évaluation scientifique que le recours à la notion de tradition, quoique empirique et dépourvue de fondement scientifique rigoureux, peut limiter les risques : sa prise en compte, estiment les experts de l'AFSSA, constitue « un moyen d'assurer une meilleure prévention des risques liés à l'emploi de plantes mal connues, voire toxiques, face à l'engouement actuel pour l'exotisme ».
La tradition apporte en effet des informations tant sur le plan de la sécurité que sur l'effet physiologique éventuel. Corroborée par des données expérimentales sur le totum* et sur des constituants isolés, elle livre des connaissances dans les domaines où les études cliniques sont peu nombreuses et difficiles à mettre en œuvre sur le plan méthodologique. Même si, évidemment, elle ne met pas à l'abri de risques émergents liés à des modifications récentes de l'environnement du consommateur, tant sur le plan alimentaire que thérapeutique. Par exemple, le millepertuis, plante médicinale traditionnelle utilisée en tant que médicament, notamment dans le traitement des manifestations dépressives légères, présente des interactions avec la digoxine, la théophylline, les antivitamines K, la ciclosporine et les antirétroviraux. De même, des études rapportent de effets de l'ail sur le cytochrome P450, qui pourraient modifier la biodisponibilité de nombreux médicaments, notamment certains antiviraux. Ces effets pourraient conduire à des recommandations pour éviter toute interférence médicamenteuse malheureuse.
Mais pour l'heure, le travail d'évaluation reste tel que l'AFSSA préconise une mention obligatoire dans le libellé de l'allégation, sur l'étiquetage, la notice et dans la publicité, selon laquelle « l'effet (nutritionnel, fonctionnel ou en termes de santé) est traditionnellement reconnu, et que l'efficacité n'a pas été clinique démontrée ».

* Ensemble des constituants d'une plante contribuant à l'activité attribuée à cette plante.

Ch. D.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7309