PARADOXE FRANÇAIS et échec de la contraception : le nombre d’interruptions volontaires de grossesse reste à un niveau élevé alors que les méthodes contraceptives disponibles se sont multipliées (anneau vaginal, patch, implants, systèmes intra-utérins). Mais le paradoxe n’est pas seulement hexagonal. « En Suède par exemple, le nombre d’IVG "explose" atteignant 18 pour 1 000 femmes en âge de procréer », indique le Dr Raha Shojai. En France, où l’on estime à 220 000 le nombre annuel d’IVG (soit 14 pour 1 000), la situation n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire, la région PACA et la Corse en particulier se distinguent par des taux nettement supérieurs à la moyenne nationale. Autre constat préoccupant : le pourcentage élevé d’IVG à répétition, estimé globalement à près de 30 %, mais qui est plus fort dans certaines régions et dans certains quartiers. « Ainsi, à l’hôpital Nord de Marseille, ce taux atteint de 50 à 60 % », précise le Dr Shojai.
Les grossesses non planifiées sont mal vécues.
Comment expliquer ces chiffres ? Dans les pays européens, on ne peut guère mettre en cause les difficultés d’accès à la contraception, sauf dans certains groupes, en particulier les très jeunes femmes (malgré de nombreuses dispositions prises pour leur faciliter cet accès), mais aussi les populations vulnérables, marginalisées ou migrantes. La question du prix ne semble pas non plus être un déterminant significatif, puisque, au Royaume-Uni où la contraception est gratuite, le taux d’IVG est comparable à celui de la France. Pour le Dr Raha Shojai, « il semble que, par rapport aux années 1970, les grossesses qui surviennent "par surprise" soient moins nombreuses mais que ces grossesses non désirées, inattendues ou non planifiées soient plus mal vécues. Dans un monde où tout est programmé, avoir un enfant "pas au bon moment" devient plus compliqué… » Reste que cette situation révèle l’échec de la contraception pour toutes ces femmes qui doivent recourir à une IVG, d’où l’importance d’améliorer l’information sur l’ensemble des moyens contraceptifs pour que chaque femme trouve la méthode adaptée à ses souhaits, à son âge, à son mode de vie… « Une solution, consisterait de sortir du schéma "tout pilule" ou préservatif largement préconisé en France chez les femmes jeunes et de proposer l’utilisation de méthodes réversibles plus efficaces au long cours comme le dispositif intra-utérin ou l’implant sous cutané », précise le Dr Shojai
Jusqu’à 9 SA en établissement de santé, 7 SA en ville.
L’IVG est donc toujours d’actualité et il convient bien entendu que toute femme qui le souhaite puisse y avoir accès dans les meilleures conditions et dans les délais imposés. Deux options sont possibles : la méthode chirurgicale par aspiration autorisée jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée (SA) et la procédure médicamenteuse, de plus en plus privilégiée car simple, efficace, à faible coût et acceptable par les femmes qui la choisissent. Les dernières recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) précisent les conditions d’utilisation de cette dernière. Elle peut être pratiquée en établissement de santé public ou privé jusqu’à 9 semaines d’aménorrhée (SA) ou en cabinet de ville jusqu’à 7 SA. En ville, elle peut être prescrite en toute sécurité par un gynécologue ou par un généraliste ayant suivi une formation spécifique permettant à la patiente de bénéficier de soins de proximité avec une expulsion à domicile. Dans le cas d’une prescription ambulatoire en cabinet de ville, le médecin doit obligatoirement signer une convention avec un établissement de santé référent, public ou privé. Cette convention, établie pour un an et renouvelée par tacite reconduction, doit être adressée au Conseil départemental de l’ordre des médecins, au Conseil régional de l’ordre des pharmaciens et à la Caisse d’assurance-maladie. Cette convention permet au médecin en ville d’adresser sans difficulté les patientes en cas d’échec ou de complications à un centre disposant d’un plateau technique chirurgical.
Les protocoles.
• L’IVG par voie médicamenteuse associe la prise séquentielle de mifépristone (anti -progesterone) suivi 24 à 48 heures plus tard d’une prostaglandine (misoprostol ou gemeprost)
• Pour les grossesses de moins de 7 SA, le schéma préconisé par les experts du groupe de travail de l’HAS, associe la prise de 600 mg de mifépristone suivie de 36 à 48 heures après par 400 µg de misoprostol par voie orale. « Même si certains praticiens préconisent l’emploi de 200 mg de mifépristone, la HAS, en accord avec l’AMM et l’Agence Européenne du médicament, a estimé que le rapport bénéfice/risque de ce schéma était moins favorable avec un taux plus élevé de grossesses évolutives », précise le Dr Shojai.
Pour les grossesses de 7 à 9 SA, le schéma retenu par la HAS associe une prise de 200 mg de mifépristone suivie 36 à 48 heures plus tard d’une prise de prostaglandine. « Le géméprost par voie vaginale a l’AMM dans cette indication, mais elle n’est plus utilisée en pratique courante compte tenu de son coût, effets secondaires des conditions de conservation », observe le Dr Shojai. Le misoprostol à la dose de 800 µg par voie vaginale, orale, sublinguale ou buccale (hors AMM) est donc préférée, mais la HAS n’a pas encore statué, ni sur la dose, ni sur la voie d’administration.
Un encadrement précis.
Qu’elle soit pratiquée dans un établissement de santé ou en ville, l’IVG médicamenteuse impose 5 consultations. La première est celle au cours de laquelle la patiente formule sa demande d’IVG. Le médecin doit alors lui expliquer les alternatives possibles à l’IVG et comprendre la raison éventuelle de l’échec de la contraception. Il l’informe sur les différentes méthodes possibles d’IVG selon le terme de la grossesse. Un groupage sanguin ABO-D est prescrit de façon systématique. Cette première consultation marque le départ du délai de réflexion qui est d’une semaine. La consultation sociale avec une conseillère n’est plus obligatoire pour les majeures.
La deuxième consultation permet de recueillir le consentement écrit de la patiente, de confirmer le terme par l’interrogatoire et l’examen clinique, complétés de façon quasi systématique par une échographie pour confirmer l’âge gestationnel, notent les médecins, gynécologues et généralistes qui pratiquent l’IVG médicamenteuse dans leur cabinet de ville ou dans un centre hospitalier. Il faut aussi vérifier l’absence de critères d’exclusion à l’IVG médicamenteuse : mauvaise compréhension de la méthode, ambiguïté à interrompre la grossesse, asthme sévère non équilibré, trouble de la coagulation ou prise d’anticoagulants, DIU en place, anémie, insuffisance rénale chronique, porphyrie, insuffisance hépatique, insuffisance rénale, malnutrition.
Vient ensuite la première consultation de prise de médicament après un délai de réflexion de 7 jours : la mifépristone doit en effet être administrée en présence du médecin. Une fiche de conseils avec un numéro de téléphone à appeler en cas d’urgence et les coordonnées du centre de soins référent est remise à la patiente. Une méthode contraceptive est prescrite lors de cette consultation.
Lors de la 4e consultation, la prostaglandine (misoprostol) est donnée par le médecin au cours d’une nouvelle consultation 36 à 48 heures après la prise de mifépristone, mais, de plus en plus souvent, le médicament est remis à la patiente qui le prend à son domicile compte tenu du risque hémorragique lors du trajet de retour entre le cabinet et le domicile.
La dernière consultation a lieu après l’expulsion. La HAS préconise qu’elle ait lieu 14 à 21 jours après la prise du misoprostol (2e médicament) permettant de vérifier la vacuité utérine grâce au dosage des bêta-hCG plasmatique (qui doivent être inférieures à 20 % du taux initial) ou une échographie pelvienne. En cas d’échec (grossesse évolutive ou persistance de débris trophoblastiques entraînant des métrorragies), une aspiration chirurgicale sera réalisée. Cette visite de contrôle est essentielle, insiste le Dr Shojai, elle permet en outre de vérifier l’adéquation de la méthode contraceptive et peut se faire rapidement après l’expulsion de l’œuf.
Réunion organisée avec le soutien institutionnel des laboratoires Nordic Pharma
*Centre de Gynécologie Sociale, Hôpital Nord, AP-HM, Marseille
(1) Recommandations de bonne pratique « Interruption volontaire de grossesse par méthode médicamenteuse » HAS, décembre 2010
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