Le point de vue du Dr Jean Gautier

Pour une alliance médecin-infirmière renforcée au service du patient

Publié le 15/11/2018
Dr Jean Gautier

Dr Jean Gautier

Les chiffres parlent : - 8 % du nombre de médecins généralistes contre + 61 %  du nombre d’infirmières dans les 15 dernières années. L’amplification à venir de la délégation paraît comme évidente si des missions des premiers soins assurées par le médecin généraliste devaient l’être par des infirmières. Que cette délégation soit plus ou moins rapprochée, quelle que soit sa nature : tâches, compétence, actes, ou renforcement d’assistance médicale rapprochée, ou au contraire autonomie annoncée dans une pratique avancée de l’infirmière.

Cependant, cette hypothèse de délégation dans la prise en charge des soins primaires masque des réalités différentes dans leur intention d’origine, et l’avenir le dira, leur résultat, du point de vue médical (service au patient), d’organisation des soins et d’effet médico-économique. Aussi, l’expérience singulière de l’histoire d’Action de Santé Libérale en Équipe – ASALEE propose une interprétation de ce mouvement et, des éléments de réponse à cette question : s’il faut amplifier les délégations, dans quelles conditions ?

En 15 ans, 1 000 implantations ASALEE

Il y a près de 15 ans, ASALEE est créée par des médecins généralistes pour améliorer le suivi des patients atteints de pathologies chroniques, et convaincus du bien-fondé de l’éducation thérapeutique du patient. Une équipe de soins primaires ASALEE est née, formée sur un même lieu en général de plusieurs médecins et d’une infirmière. Une particularité est que l’infirmière ne dépend pas hiérarchiquement directement du médecin mais d’une association formée par eux, et se référant, ensemble, à un protocole.

Aussi, d’un certain point de vue, le médecin délègue une éducation… qu’il ne faisait pas ou peu… et qu’il ne serait probablement jamais en état de faire, projection de la démographie médicale « aidant ». 15 ans plus tard, les bientôt près de 1 000 implantations ASALEE où près de 3 000 médecins généralistes accueillent près de 700 infirmières donnent raison à cette intuition.

En complément de ce fondement du travail en équipe, en 2006 les évaluateurs de santé publique invitent ASALEE dans le mouvement de « délégation de tâches » des projets Berland (1). Cependant, ces mêmes observateurs constatent que la manière dont l’équipe fonctionne relèvent plutôt du terme anglais « skill-mix », mélange de compétences, ou, ailleurs, d’une « alliance originale du cure (soin) et du care (prendre soin) ». Le développement naturel de la mission infirmière ne se situe pas dans une substitution au médecin, mais plutôt, dans une manière différente d’exercer ensemble les soins primaires. Aussi la forme associative spécifique d’ASALEE épouse les canons des entreprises dites libérées, (holacratie) dans lesquelles l’équipe de plus petit niveau assure en forte autonomie l’ensemble des fonctions.

Le travail en équipe, facteur clé du succès

2012 : ASALEE complète le service de travail en équipe assurant l’éducation thérapeutique au plus proche du patient, par des actes délégués à l’infirmière, de prescription des examens habituels que les protocoles recommandent pour les patients chroniques. Cette possibilité renforce l’effet éducatif du travail en équipe et les prestations attendues du médecin sont mieux assurées.

En 2016 autorisation est donnée aux infirmières de prescrire les substituts nicotiniques. Or l’expérience médicale manifestait déjà qu’une prescription sans accompagnement, pour le seul traitement disponible, perdait de sa pertinence. Cette prescription devait être accompagnée d’une éducation thérapeutique ciblée pour obtenir le sevrage tabagique. Ce que l’organisation agile d’ASALEE a pu mettre rapidement en place. Aussi cette expérience manifeste que, pour ASALEE, une délégation amplifiée conduit à une alliance médecin-infirmière renforcée autour de l’éducation du patient.

Ainsi, s’il parait un mouvement à amplifier, ce n’est pas tant dans du strict point de vue de la délégation, mais plutôt du travail en équipe, incluant en tant que nécessaire une délégation choisie. Et cela vaut pour la prise en charge du patient autant que dans le management de l’organisation de ces équipes. C’est pourquoi quand la refondation du système d’organisation des soins passe par des communautés de professionnels en territoire de santé, l’amplification du travail en équipe, que nous nommons alors équipe de pratique avancée, paraît être, lorsque nécessaire avec délégation ad hoc, le facteur clé de son succès au service des patients.

(1) A la suite du rap­port Berland sur les trans­ferts de tâches et de com­pé­ten­ces, le minis­tère de la Santé a lancé en 2004 des expé­ri­men­ta­tions de coopération entre professionnels de santé.

Jean Gautier, médecin généraliste, Chatillon-sur-Thouet (79)

Source : Le Quotidien du médecin: 9699