Pr Bernard Bauduceau : « Gérodiab scrute l’évolution des diabétiques âgés »

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Publié le 05/09/2018
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Crédit photo : DR

L’étude Gérodiab est la première étude française observationnelle prospective qui évalue le devenir des patients diabétiques âgés. De juin 2009 à juillet 2010, 56 centres ont recruté 987 patients diabétiques de type 2 âgés d’au moins 70 ans, autonomes et dont le diagnostic de diabète datait d’au moins un an. Gérodiab est une association loi 1901, née sous l’égide de l’intergroupe de diabéto-gériatrie SFD/SFGG (Société francophone du diabète/Société française de gériatrie et gérontologie) sous la direction des Prs Bernard Bauduceau et Jean Doucet (CHU de Rouen) et du Dr Christiane Verny (Le Kremlin-Bicêtre) ; son financement a été assuré par les laboratoires Novo Nordisk et Merck Serono, ainsi que par une allocation de recherche de la SFD et un PHRC national.

L’objectif était d’analyser la relation entre équilibre glycémique et morbimortalité, car, si on observe une nette diminution des complications du diabète depuis quelques décennies, certaines questions persistent, comme le niveau glycémique optimal à atteindre, l’impact des pics glycémiques et les interactions des complications diabétologiques et gériatriques.

Les patients inclus sont à 52 % des femmes, de 77 ans en moyenne, dont la durée d’évolution du diabète est de 17,8 ans. L’IMC moyen est de 29,7, et 44 % sont obèses ; 89,8 % sont hypertendus, et 87,5 % ont une dyslipidémie. L’HbA1c moyenne est de 7,56 % ; elle est supérieure à 7,5 % dans 41 % des cas. Dans les six mois précédant l’inclusion, on relève en moyenne pour chaque patient 11 hypoglycémies et 13 % d’épisodes infectieux. Les complications sont dominées par l’insuffisance rénale (37 %), la coronaropathie (31 %), la rétinopathie (26 %) suivies de l’Aomi (16 %), l’insuffisance cardiaque (10 %) et les plaies du pied (5 %).

L’insuffisance cardiaque, premier facteur prédictif de mortalité

À 5 ans, on recense 97 perdus de vue (soit 9,8 %) et 27 personnes sorties volontairement de l’étude, des chiffres similaires à ceux retrouvés dans d’autres études observationnelles. La survie globale est de 75 %, avec une mortalité essentiellement cardiovasculaire (insuffisance cardiaque, AVC, IDM), mais aussi par insuffisance rénale ou respiratoire, cancers et hémopathies, les causes étant souvent intriquées.

Les malades dont la moyenne des HbA1c au cours du suivi était supérieure ou égale à 70 mmol/mol (8,6 %) ont eu la plus mauvaise survie (71 %) par rapport à ceux dont l’HbA1c moyenne était inférieure à ce chiffre (taux de survie de 80 % ; p = 0,0064). « Cette fourchette dans laquelle la mortalité est la plus basse est très large et mérite d’être affinée, commente le Pr Bauduceau. Il est difficile de savoir si l’équilibre glycémique entraîne une meilleure survie ou s’il n’est que le témoin de diabètes moins sévères ou de patients plus observants. Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux individualiser les objectifs glycémiques et leur influence sur les complications. »

On constate que le nombre de personnes atteintes de complications cardiovasculaires augmente rapidement et de façon importante, de 47 % à l’inclusion à 67 % après cinq ans de suivi. Les plus fréquentes sont la coronaropathie, l’artériopathie périphérique et l’atteinte neurovasculaire (respectivement 30 %, 25 % et 15 % à l’inclusion). L’insuffisance cardiaque est moins fréquente initialement, mais elle augmente très fortement, passant de 9 à 20 % après cinq ans, et surtout elle s’associe à un très mauvais pronostic. Si les complications cardiovasculaires augmentent la mortalité, l’existence d’une insuffisance cardiaque initiale double pratiquement le nombre de décès (HR = 1,96 ; p < 0,0001). L’insuffisance cardiaque est le facteur prédictif le plus fort de mortalité, après ajustement sur les autres paramètres, et est responsable de 16,9 % des décès. L’artériopathie, les amputations et les plaies des pieds sont également fortement associées à la mortalité (qui est par exemple multipliée par deux en cas d’amputation).

Les complications de la microangiopathie augmentent. La néphropathie et la neuropathie sont fortement associées à la mortalité, la néphropathie restant le seul facteur prédictif dans un modèle multivarié.

Les troubles cognitifs, une nouvelle complication du diabète

Les interactions des complications diabétologiques et gériatriques sont complexes. Le diabète augmente le risque de démence après ajustement, mais les troubles cognitifs majorent les complications du diabète.

Dans Gérodiab, on recensait à l’inclusion, sur le déclaratif, 11 % de troubles cognitifs et 3 % de démences avérées. Mais en réalité, à l’inclusion, 28,7 % des patients souffraient d’un déficit sur le plan cognitif, soit du fait d’une démence (2,6 % des cas) soit en raison d’un score inférieur à 25 au MMSE. « L’existence de troubles cognitifs est donc sous-évaluée, alors qu’ils doivent être considérés comme une nouvelle complication chronique du diabète et qu’ils compliquent la prise en charge de la maladie », insiste le Pr Bauduceau.

La physiopathogénie n’est pas univoque, et divers mécanismes entrent en jeu. L’HbA1c élevée est, dans Gérodiab, associée à un MMSE inférieur à 25, mais sans qu’on puisse affirmer si le mauvais contrôle du diabète est la cause ou la conséquence des troubles cognitifs. Les hypoglycémies majorent le risque de démence, avec une relation bidirectionnelle : elles doublent le risque de démence, laquelle triple le risque d’hypoglycémie. Mais, dans Gérodiab, les patients ayant un score MMSE inférieur à 25 ne présentent pas significativement plus d’hypoglycémies. Ce qui pourrait s’expliquer par des niveaux plus élevés de l’HbA1c et probablement une surveillance plus étroite de ces sujets plus vulnérables. Les troubles cognitifs sont aussi plus fréquents chez les femmes, les personnes traitées par insuline et surtout en présence de facteurs de risque cardiovasculaire, qui favorisent les démences vasculaires.

 

 

Entretien avec le Pr Bernard Bauduceau, service d’endocrinologie, hôpital Bégin, Saint-Mandé

Bauduceau B., Le Floch J.-P. et al. « Cardiovascular complications over 5 years, and their association with survival in the GERODIAB cohort of elderly French patients with type 2 diabetes », Diabetes Care, vol. 41, n1, janvier 2018, p. 156-162

Bauduceau B., Bordier L. et al. « Les troubles cognitifs chez les patients diabétiques âgés. Apport de l’étude Gérodiab », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, vol. 200, n4-5, 2016, p. 859-875, séance du 5 avril 2016. En ligne : www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2017/06/P.859-876.pdf

Bauduceau B., Bordier L. « Management of diabetes in elderly », International Journal of Medicine and Surgery, vol. 4, numéro spécial, juillet 2017

Verny C., Doucet J. « Prevalence of cognitive decline and associated factors in elderly type 2 diabetic patients at inclusion in the GERODIAB cohort », European Geriatric Medicine, vol. 6, n1, février 2015, p. 36-40

 

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr