Par les Dr JEAN-LOUIS BOURGAIN ET FLORENT LAVERDURE *
LE PROTOXYDE d’azote (N2O) est un agent anesthésique massivement utilisé. Il présente des caractéristiques pharmacologiques très intéressantes de par son coefficient de solubilité élevé. Cette propriété lui assure une vitesse d’action et une élimination très rapide. L’effet analgésique du N2O est dose-dépendant et apparaît à partir d’une fraction inspirée de 10 %. Au-delà de 40 %, l’action hypnotique du gaz prédomine. Le N2O utilisé comme seul agent d’analgésie a démontré une efficacité en obstétrique, en chirurgie dentaire et en pédiatrie. Il est utilisé sous la forme d’un mélange équimolaire au cours de gestes invasifs (ponction, pansement …). Cette technique donne du confort aux patients, tout en étant utilisable en dehors de tout contexte anesthésique. Il convient de pratiquer cette analgésie dans des locaux bien ventilés. En effet, une exposition élevée au N2O altère l’ADN du personnel soignant en salle d’opération. La MAC (concentration alvéolaire minimum) du N2O chez l’homme est de 104 % et il ne peut à lui seul offrir une profondeur d’anesthésie suffisante pour la réalisation d’un acte chirurgical. Il réduit d’environ 30 % la MAC des halogénés. Plus les doses d’opiacés sont importantes, moins cet effet potentialisateur apparaît important. Ainsi pour une concentration de rémifentanil de 3 ng/ml, la MAC du desflurane n’est pas affectée par la présence de N2O. La non-utilisation du N2O n’a que peu ou pas d’effet sur la consommation des anesthésiques généraux (tableau 1). Notre expérience personnelle recoupe ces résultats : une diminution de consommation de N2O d’environ 50 % n’a pas modifié la consommation de gaz halogénés (tableau 2).
Le doute s’installe.
Après chirurgie, apparaît une exacerbation des douleurs provoquées liée à un état d’hyperalgie. Les opioïdes administrés dans la phase peropératoire majore cette hyperalgie de façon dose dépendante. Chez le rat, le N2O associé aux fortes doses d’opioïdes limite les phénomènes d’hyperalgésie. Ces propriétés n’ont pas été étudiées chez l’homme. Ce mécanisme d’hyperalgie est important et justifie l’emploi d’agents anti-NMDA comme la kétamine ou le néfopam. Dans ce contexte, l’intérêt de l’utilisation en sus du N2O reste une question en suspens. Les effets indésirables du N2O ont été mis en évidence dans plusieurs articles de bon niveau méthodologique. L’incidence des nausées et vomissements postopératoires est doublée lors de l’utilisation de N2O en comparaison avec l’azote pour une même FiO2 de 0,4. Le N2O réduit l’activité de la méthionine synthétase de 50 % après une exposition de 46 minutes et de 100 % après 200 minutes avec un retour à la normale après quatre jours. Ce fait justifie les contre indications du N2O : anémie de Biermer, pathologie iléale, grand âge ou alcoolisme. L’étude de RJ Amos lie la mégaloblastose et la surmortalité chez les patients ayant reçu du N2O (15 décès sur 18) en comparaison avec ceux qui n’en avaient pas reçu (7 sur 22). L’hyperhomocystéinémie est associée à une augmentation de l’incidence de la pathologie cardiaque ; dans le contexte de l’anesthésie, le N2O provoque une augmentation du taux sérique d’homocystéine. Le lien de cause à effet n’a cependant pas été démontré. Un traitement par folate et vitamine B la semaine précédant l’anesthésie avec N2O prévient l’augmentation de l’homocystéine alors qu’une injection unique ne le fait pas. Il apparait néanmoins peu réaliste de proposer un traitement préopératoire d’une semaine pour pouvoir utiliser du N2O. Cinq études prospectives ont comparé l’incidence des complications postopératoires selon la FiO2 utilisée : quatre études montrent un net bénéfice de l’utilisation d’une FiO2 à 0,8 sans N2O : diminution des infections postopératoires, des problèmes de cicatrisation et de la fréquence des complications dites majeures. Néanmoins, ces études ne font pas la part de ce qui revient à la FiO2 ou à la non-utilisation de N2O. L’intérêt de l’utilisation peropératoire du N2O n’apparaît plus évident du fait de la puissance et de la maniabilité des anesthésiques récents. Le doute sur l’innocuité de ce gaz progresse et nous sommes dans l’attente des résultats d’une grande étude en cours (ENIGMA2) qui s’intéresse spécifiquement à ses effets délétères.
*Institut Gustave Roussy, Villejuif.
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