Sale temps pour Jean-François Mattei.Une conjoncture exécrable, des relations caisses-médecins marquées davantage par des bas que par des hauts et une ligne de conduite (multiplier les groupes de travail avant de prendre des décisions) qui tarde à faire ses preuves : tout semble se liguer contre le ministre de la Santé, au terme du premier trimestre 2003.
Jean-François Mattei vient de lever le voile sur la situation des comptes dont il a la charge, confirmant les hypothèses pessimistes. Le déficit de l'assurance-maladie est évalué « aux alentours de 8 milliards d'euros » pour 2002. « C'est davantage un manque de recettes qui creuse aujourd'hui le déficit », a-t-il rappelé, à juste titre, sur Europe 1, en écartant une nouvelle fois une hausse de la CSG, sans l'exclure « si nous y sommes contraints ». Un point de chômage supplémentaire, faut-il rappeler, c'est 700 millions d'euros de manque à gagner pour l'assurance-maladie.
Le piège des rapports
On voit mal comment les feux pourraient repasser au vert. La croissance, qui a un impact direct sur les rentrées de cotisations, ne rebondira pas avant l'été, prévoit l'INSEE dans sa dernière note de conjoncture. Seule consolation : l'hypothèse de cet institut retient une légère progression du PIB (+ 0,3 % par trimestre) et écarte donc, pour la France, le scénario noir d'une récession, évoqué par les experts du FMI. Mais c'est au mieux dans plusieurs mois que l'embellie pourrait poindre, sauf enlisement de la guerre en Irak, flambée du pétrole, baisse du dollar, etc. Côté recettes, Jean-François Mattei subit donc la conjoncture. « Je n'ai pas trouvé l'équation qui permette d'ajuster le nombre de malades au nombre de chômeurs ou à la baisse de la croissance », répétait-il récemment. Il avait dit exactement la même chose lors de ses vux à la presse en janvier.
Autre difficulté pour le ministre de la Santé : les conclusions des rapports qu'il avait confiés à Rolande Ruellan (relations entre l'Etat et l'assurance-maladie) et à Jean-François Chadelat (nouveau partage des rôles entre assurance-maladie obligatoire et complémentaires) ne lui facilitent guère la tâche avant la « grande réforme » annoncée pour l'automne. Le premier, assez décevant puisque proche du statu quo, réaffirme la légitimité de l'Etat à piloter la santé et l'assurance-maladie, rappelle les exigences des partenaires sociaux et rejette toute régionalisation. Le deuxième, qui propose la création d'une couverture maladie généralisée (CMG), a reçu un accueil glacial dans les rangs des partenaires sociaux qui, à l'exception notable de la CFDT, y décèlent une privatisation larvée. Difficile, dans ces conditions, de préparer l'opinion à des mesures douloureuses.
Dernier péril : malgré des signaux encourageants du côté des généralistes (progrès des génériques, baisse sensible du nombre des visites), le niveau global de la consommation médicale reste élevé. Selon la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), son évolution en début d'année 2003 « ne marque aucun signe de fléchissement ».
Faut-il y voir un autre signe d'inquiétude ? Jean-François Mattei vient de demander à l'ensemble des professionnels de santé libéraux de lui faire des propositions, pour la dernière semaine d'avril, afin de « mieux garantir l'affectation des ressources publiques de l'assurance-maladie, qui sont comptées, à l'exercice de la solidarité nationale ».
La perspective d'une dégradation à grande vitesse des comptes sociaux a donc rouvert, à droite, le débat sur les remèdes et le calendrier. Faut-il faire confiance à la maîtrise médicalisée, qui demande du temps ? Laisser filer les dépenses ? Augmenter la CSG sans attendre ? Accélérer les déremboursements ? Un débat d'autant plus légitime que le retour d'un gouffre de la branche maladie pèserait lourdement sur les finances publiques. Or, en la matière, la France est déjà un des pires élèves de l'Europe.
Pour l'instant, la plupart des parlementaires de la majorité soutiennent le ministre de la Santé dans ses choix. Et relativisent : peut-on parler d'aggravation du déficit lorsque, faute de croissance, les cotisations rentrent mal et que les dépenses de santé progressent mécaniquement pour de « bonnes raisons » (nouveaux traitements, médicaments innovants, allongement de l'espérance de vie) ?
Dépenses incompressibles
Jean Bardet (UMP, Val-d'Oise), rapporteur du dernier PLFSS sur l'assurance-maladie, souligne que « certaines dépenses de santé sont incompressibles », même dans l'hypothèse d'une gestion idéale . Il estime qu'il serait « catastrophique de changer de politique en cours de route », notamment en matière de régulation des dépenses. Il juge urgent de tenir aux Français un « langage de vérité » sur le coût de la santé. Mais aussi de donner aux pouvoirs publics les outils d'une gestion plus fine.
« Tant que l'ONDAM (l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie, NDLR) n'a pas été médicalisé, on est dans un déficit artificiel », analyse Jean Bardet. Un pilotage à vue qui pourrait être corrigé l'année prochaine grâce aux conclusions - mais plairont-elles aux médecins ? - du rapport confié à Alain Coulomb (voir encadré).
Bernard Accoyer (UMP, Haute-Savoie) estime, lui aussi, qu'il faut tenir le cap dans la tempête. « Le gouvernement n'est ni sur la voie de la contrainte, ni sur celle des augmentations de cotisation, affirme-t-il . Il faut un effort de meilleure gestion du dispositif, fondée sur le juste soin et sur la restructuration du tissu hospitalier. »
D'autres députés de la majorité tiennent un discours écartelé : une pincée de sérénité, une once de mise en garde. Pour Yves Bur (UMP, Bas-Rhin), rapporteur du PLFSS 2003 pour les recettes et l'équilibre général, « le gouvernement va devoir faire des choix très courageux ». « L'heure de vérité approche, précise-t-il , on ne pourra pas reporter éternellement des décisions difficiles. » Pour autant, il estime qu'il ne serait pas opportun d'imposer des mesures de rigueur dans les semaines à venir. « On ne peut pas dire qu'on baisse les impôts et augmenter la CSG. » En matière de régulation des dépenses, pas de précipitation mais une vigilance accrue : Yves Bur propose d' « explorer la voie de la maîtrise médicalisée jusqu'à sa dernière limite ». Avant d'ajouter qu' « il faudra se poser la question de la responsabilité des prescripteurs comme des usagers », au cas où les objectifs de dépenses seraient une nouvelle fois dépassés. Dans un contexte où les recettes « s'évanouissent », il constate que « les économies, à l'évidence, ne sont pas à la hauteur des déficits ». Un autre député UMP, qui veut garder l'anonymat, s'interroge : « N'a-t-on pas ouvert un peu trop les vannes du côté des professionnels de santé? »
Dans le mur
A l'UDF, on ne fait pas dans la périphrase. Jean-Luc Préel, député de Vendée, secrétaire national de l'UDF en charge de la santé, affirme qu' « on va dans le mur ». Un « on » qui désigne le gouvernement. « Pour 2002, le déficit (de l'assurance-maladie) approchera 8 milliards d'euros et, en 2003, on sera à 11-12 milliards, voire au-delà, met-il en garde. Sur deux ans, le déficit sera donc de plus de 20 milliards d'euros ! » Le député centriste fait deux reproches au ministre de la Santé : « Ne pas avoir fait d'audit dès son arrivée, au risque de devoir faire une politique de la Rustine » et « avoir repoussé à l'automne la réforme de la gouvernance ». La hausse de la CSG ? « Je ne vois pas comment on pourra faire autrement. »
Tour de vis ? Méthode Coué ? Longue préparation de l'opinion, qui devra d'abord digérer la réforme des retraites ? Selon un expert du secteur, la réponse viendra de l'Elysée en juin. « Personne ne sait rien, sauf que les caisses sont vides et qu'on a déjà dépassé les critères de Maastricht. L'événement, ce sera le discours du président de la République au congrès de la Mutualité. »
Le retour des sanctions pour les médecins ?
Selon l'hebdomadaire « Espace social européen », le rapport sur les moyens de médicaliser l'ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance-maladie), que s'apprête à rendre au ministre de la Santé le directeur de l'ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé), Alain Coulomb, suggère, entre autres, de diviser la progression des dépenses de santé en deux étages. Au premier niveau : les dépenses incompressibles, liées aux objectifs de santé publique, au vieillissement de la population et au financement de l'innovation. Au second : le contenu de contrats de maîtrise médicalisée des dépenses, opposables aux établissements de soins et aux professionnels (donc aux médecins).
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