Au cours d'une conférence de presse, à l'Institut Pasteur de Paris, le Pr Sylvie Van Der Welf, chef de l'unité de génétique moléculaire des virus respiratoires et codirectrice du centre collaborateur de l'OMS de référence et de recherche sur les virus de la grippe, a annoncé que les chercheurs de son unité avaient isolé un coronavirus dans 7 des 30 prélèvements transmis dans son laboratoire, issus de patients atteints de pneumopathie atypique.
Mais c'est la modélisation présentée par le Pr Antoine Danchin, de l'institut Pasteur de Hong Kong, qui a le plus frappé les esprits. Ce chercheur, en association avec des mathématiciens de l'université de Hong Kong, a cherché à estimer le nombre de personnes potentiellement atteintes de SRAS dans les semaines et les mois à venir. Pour cela, il s'est fondé sur l'étude des cas survenus dans la tour E de la résidence Amoy Gardens, à Hong Kong. Dans cet immeuble de 33 étages, dans lequel vivent plus de 1 000 personnes, les virologues hongkongais ont pu déterminer les bases de la propagation virale. Sa vitesse laisse à penser qu'il existe dans cette épidémie une transmission autre que la voie aérienne. Pour le Pr Danchin, « il semblerait que la transmission manuportée soit en cause ».
Un délai de six semaines à deux mois
En prenant en compte cette donnée et en s'appuyant sur un modèle mathématique d'épidémie de grippe survenue dans un collège britannique en 1987, le chercheur français a établi un modèle mathématique de dissémination de l'infection. « Dans les condition retenues, on peut évaluer que l'incidence de la maladie pourrait se situer aux environs de 30 % de la population mondiale dans un délai de six semaines à deux mois », analyse le Pr Danchin. Néanmoins, certains paramètres ne sont pas pris en compte dans ce calcul : l'incidence de la température extérieure, car ce virus qui semble sensible à la chaleur pourrait avoir une contagiosité diminuée par l'élévation des températures dans les semaines à venir ; le fait que la population mondiale ne vit pas dans un environnement confiné comme la tour E ; l'éventualité de la mise en place de mesures strictes de quarantaine.
Pour le Dr van der Welf, « le degré de contagiosité du virus pourrait avoir varié au cours de l'histoire naturelle de l'épidémie. Au mois de novembre, lors de l'apparition des premiers cas, il est possible que l'on ait été en présence d'un virus animal passé à l'homme et doté d'une contagiosité interhumaine très restreinte. Cette dernière semble s'être transformée chez le nouvel hôte - comme c'est le cas des virus de la grippe transmis eux aussi de l'animal à l'homme - et actuellement, après une phase de transmissibilité par voie aérienne, la transmission par le contact manuporté est probable ». Le Dr Julie Gerberding, directrice du CDC d'Atlanta a confirmé cette hypothèse dans une conférence de presse, le 31 mars.
Le monde ne peut être extrapolé à une tour
Le Pr Jean-Paul Auray (CNRS UMR 5823, laboratoire d'analyse des systèmes de santé) relativise l'intérêt de cette modélisation car « des incertitudes persistent quant à la validité d'un tel modèle dans une pathologie telle que celle-là : le monde ne peut pas être extrapolé à une tour de 30 étages ». Le Dr Jean-Marie Cohen, du GROG, ajoute que « on ne connaît pas encore l'évolutivité de l'agent infectieux - la virulence de certains diminue lors de leur multiplication dans une espèce donnée. Par ailleurs, des outils d'arrêt de transmission virale pourraient être élaborés dans les semaines à venir ». Néanmoins, tous reconnaissent à l'instar du Pr Jacques Reyne (Montpellier) que, « la situation est actuellement préoccupante et qu'elle devrait s'aggraver dans les semaines à venir ». Enfin, le Pr Danchin avance que « même si la propagation virale reste limitée par les changements de conditions climatiques, il est probable que l'épidémie se réveillera l'hiver prochain dans l'hémisphère Nord ».
Le nombre de cas en Chine
Pour le Pr Bruno Lina, virologue au CHU de Lyon, « la plus grande inconnue à laquelle nous sommes actuellement confrontés tient au nombre de cas en Chine ». Les autorités sanitaires de ce pays sont montrées du doigt par leurs voisins taïwanais qui les accusent d'avoir tenté de cacher les premiers cas, dans la région de canton au mois de novembre 2002. Ce n'est que sous la pression de l'OMS que les 804 cas et 31 décès ont finalement été signalés. Ce chiffre - dont la véracité est impossible à déterminer - ne prendrait en compte que les cas survenus avant la fin février 2003. Depuis que les autorités chinoises ont fourni ces données, aucune mission de l'OMS n'a pu pénétrer dans la province de Guangdong (73 millions d'habitants dont 20 à Canton), pour les confirmer.
Le 1er avril 2003, une équipe de chercheurs s'est rendue dans les hôpitaux de Pékin et a recensé au moins 8 cas importés de Hong Kong, de Taiyuan et de la province de Shanxi, ainsi que 2 professionnels de santé atteints. « Il s'agit d'un fait nouveau, car c'est le signe que l'épidémie n'est pas circonscrite dans ce pays et que le nombre de personnes atteintes pourrait être dès à présent très élevé », conclut le Pr Lina.
Evolution favorable du cas montpelliérain
Une hôtesse de l'air qui avait été en contact avec le premier cas avéré français de SRAS au cours de son voyage de Hanoi à Paris via Bangkok, a été hospitalisée au CHU de Montpellier le 29 mars 2003. Elle avait ressentit dans la nuit précédente des difficultés respiratoires et le SAMU l'a transportée de son domicile à l'hôpital Saint-Eloi. Elle a été hospitalisée dans le service des maladies infectieuses du Pr Jacques Reyne, qui explique au « Quotidien » qu' « elle ne présentait à l'entrée dans les service que des signes respiratoires de moyenne importance. Un bilan radiologique et une surveillance des gaz du sang ont été réalisés quotidiennement et, le 1er avril 2003, son état était considéré comme stabilisé. La question de la sortie de cette patiente reste néanmoins posée, car on ne connaît pas encore parfaitement l'histoire naturelle de la maladie ni si les sujets peuvent demeurer des porteurs sains asymptomatiques ». Aucun traitement antiviral n'a été instauré car, pour le Pr Reyne, « le délai de prise en charge rapide et l'état clinique ne le justifiaient pas ».
Les personnes de la famille sont actuellement en quarantaine à leur domicile et surveillées par l'InVS et un secteur entier du service des maladies infectieuses a été réservé à d'éventuels nouveaux cas.
Le médecin hospitalisé au CHU de Besançon a pu quitter l'hôpital, les analyses ont prouvé de façon formelle que sa symptomatologie n'était pas en rapport avec un SRAS.
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