Un an après Irma, les vives souffrances psychologiques de Saint-Martin

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Publié le 06/09/2018
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Crédit photo : AFP

Ce n'est qu'en juin dernier que le Dr Pierre Yves Merlet a réintégré son cabinet, sur l'île de Saint-Martin. Au cours des 9 mois précédents, sa consultation se tenait sous une tente non climatisée, par des températures qui dépassaient régulièrement les 30 °C. « Depuis l'ouragan Irma, les choses ont progressé sur l'île, mais nous portons encore les stigmates du cyclone », raconte-t-il. Les habitants sont notamment nombreux à souffrir de troubles psychologiques.

Selon une analyse des bulletins des consultations réalisée par Santé Publique France pour la période de janvier à avril 2018, on observe un « réel besoin de prise en charge », indique au « Quotidien » le Dr Valérie Denux, directrice générale de l'ARS. « Les principales problématiques mises en évidence sont des situations de stress, de troubles anxieux et de troubles du sommeil isolés », ajoute le Dr Denux. Un nouveau bilan actualisé interviendra sous l'égide de la CIRE Antilles au cours du mois de septembre.

Avec les structures hôtelières de bord de mer toujours en chantier et des plages encore meurtries, l'économie de l'île entièrement tournée vers le tourisme ne s'est pas encore relevée. « Beaucoup de maisons sont encore bâchées et n'ont pas eu droit à la reconstruction tant espérée, déplore Dr Pierre Yves Merlet. Si un nouvel ouragan nous frappe, certaines structures risquent de s'envoler facilement » !

Cette crainte d'une nouvelle catastrophe ravive des souvenirs traumatiques chez les habitants de Saint-Martin encore marqués par la nuit du 5 au 6 septembre 2017. « Une bâche qui claque, un temps un peu pluvieux suffisent à faire remonter des souvenirs et une souffrance larvée, explique Emmanuelle Labeau, de la Croix-Rouge française. La mémoire de l'événement est vive et est entretenue par l'impact encore visible de l'ouragan. » Pour y faire face, Emmanuelle Labeau a participé à la mise en place d'un bus santé et d'un dispositif mobile de réduction des risques. L'association martiniquaise « SOS Kriz » y réalise des évaluations psychologiques basées sur le volontariat.

Départ de médecins

L'ouragan passé, le cabinet du Dr Guillaume Carrel, situé au nord de l'Île de Saint-Martin, a rapidement repris son activité. Le médecin est néanmoins en première ligne pour constater les effets d'Irma sur la population. « Je n'ai jamais prescrit autant de benzodiazépine que dans les 6 premiers mois après l'ouragan, explique-t-il. J'envoyais tous ces patients chez les psychologues. On a peu envie de parler de nouveau de l'ouragan, car cela ravive de mauvais souvenirs. Certains de mes patients ne sont pas rassurés car ils n'ont toujours pas de toit alors que la période des ouragans reprend. »

La patientèle du Dr Carrel réside principalement dans la baie orientale de l'île et le quartier du Cul-de-Sac, où vit une population de métropolitains en général plus aisés que dans le reste de Saint-Martin. Selon le médecin, la plupart de ses patients habituels sont repartis en métropole. À quel point l'île s'est-elle dépeuplée ? Il est difficile de le savoir. Les sources oscillent entre un tiers et un quart des habitants. « Il a été indiqué un chiffre de l'ordre de 7000 personnes (sur plus de 30 000 habitants N.D.L.R) qui auraient quitté le territoire à la suite d'Irma, selon le Dr Valérie Denux, toutefois l'ARS ne dispose pas de chiffres concernant les flux de retour. » On estime par ailleurs que la rentrée des classes a vu le nombre d'écoliers de l'île baisser de 10 %. Certains habitants sont rentrés ces dernières semaines, non sans problème, comme le constate le Dr Merlet : « Selon mon remplaçant (le Dr Merlet revient d'une pause après avoir frôlé le burn-out), beaucoup d'habitants sont revenus avec des troubles psychologiques liés à la date anniversaire. »

Les médecins aussi ont quitté l'île. « Sur les 8 médecins en dehors de la ville, nous ne sommes plus que 4 », explique le Dr CarrelCette difficulté d'accès au soin est « un vrai problème, surtout pour une population occultée, peu visible, très précarisée, analyse le Pr Jean-Jacques Eledjam, président de la Croix-Rouge française. En outre, les addictions se développent, en particulier chez des jeunes qui ont pu se rendre sur l'île sans avoir les moyens d'en repartir ».

Le bus santé de la Croix-Rouge réalise chaque jour plus d'une vingtaine de tests rapides d'orientation diagnostique chez des toxicomanes de Quartier d'Orléans et de Sandy Ground. « Nous sommes aussi confrontés à des insuffisant rénaux qui n'ont pas accès à la dialyse, à des hypertendus non traités… », énumère le Pr Eledjam.


Source : lequotidiendumedecin.fr