Une consultation qui écoute la douleur du corps

Ce lundi de juin, trois enfants auraient dû être reçus en consultation dans le Centre régional douleur et soins somatiques en santé mentale, autisme, polyhandicap et handicap génétique rare, sis au sein de l'établissement public de santé Barthélemy Durand, à Étampes. 

Mais c'est jour de grève, et les familles n'ont pas voulu prendre le risque de se retrouver piégées dans les embouteillages. Avec un enfant qui ne le supporterait pas. 

Bilan somatique de la tête aux pieds 

Le Centre d'Étampes, créé en 2013 par le Dr Djéa Saravane grâce à une enveloppe annuelle de 400 000 euros du troisième plan autisme, accueille des enfants, une majorité d'adolescents, et des adultes autistes (au 2/3), et polyhandicapés, dyscommunicants, pour des bilans somatiques « de la tête aux pieds ».

Loïc, l'un des patients prévus ce lundi, a découvert le centre il y a quatre ans. Le fils de Jeanne Félicité Engo Nsi, alors une dizaine d'années, devenait violent jusqu'à se taper la tête contre les murs. « Nous savons voir l'autisme. Mais derrière, il y a d'autres souffrances dont on ne se rend pas compte. On ne comprenait pas cette violence », se souvient sa mère. Elle le conduit chez sa psychiatre, celle qui la première fois a posé le mot d'autiste à propos de son fils, le sortant d'une longue errance diagnostic. Et la psychiatre de l'orienter vers le Dr Djéa Saravane. « Notre sauveur », dit Mme Engo Nsi. « Il a su l'endormir avec du gaz pour voir qu'il avait des otites chroniques et ainsi le mettre sous antibiotiques », explique-t-elle. Loïc a aujourd'hui 14 ans et retourne une à deux fois par an à Étampes pour retirer des bouchons de cérumen. « C'est le seul hôpital qui comprend nos enfants. Ailleurs, Loïc ne se laisse pas toucher », commente sa mère*. 

Le pavillon caressé par des coquelicots est situé à l'écart des autres bâtiments ; l'accueil n'a pas de salle d'attente ; la salle de consultation (il faut compter y passer deux heures) est neutre et calme, avec pour apaiser, un écran de cinéma et un lecteur de musique. L'équipe développe des outils pour faciliter l'expression de la douleur (l'application numérique I Feel, l'échelle ESDDA). Les infirmières ont comme maître mot la sécurité, prennent le temps de dispenser des conseils thérapeutiques aux aidants, et savent s'adapter à chaque patient. Qu'importe si la prise de sang doit se faire dans l'ambulance pour celui qui refuse d'en sortir, ou par terre, pour l'enfant qui ne veut pas s'allonger sur le lit. Si la personne est trop anxieuse ou agitée, les soignants lui administrent du Meopa. Et lorsque l'enfant ne peut venir à l'hôpital, c'est le Dr Saravane qui vient à lui. 

En termes de soins, ce spécialiste de médecine interne et de la douleur, prône un retour à la sémiologie de base pour repérer des pathologiques passées inaperçues derrière l'autisme, et qui pourtant engendrent de graves troubles du comportement : un problème de voûte plantaire, de sommeil, une carie, des maux de ventre, un trouble des règles chez les jeunes filles, l'épilepsie… « Souvent, les carnets de santé des enfants ont des pages blanches », observe le médecin.

Bien sûr, Étampes a des partenariats avec les spécialistes des hôpitaux de proximité, Henri Mondor, le Kremlin-Bicêtre, l'association Rhapsodif pour les soins dentaires. Mais le Dr Saravane insiste : « un bon généraliste peut prendre en charge ces patients complexes ». D'ailleurs, le centre n'a pas vocation à assurer un suivi au long cours. Lié au centre de ressources autisme Ile-de-France (CRAIF), il joue plutôt un rôle d'expertise. Et constitue une adresse précieuse pour les instituts, qui représentent 70 % des demandes. 

Reconnaissance des pouvoirs publics et bébé-centres

La patientèle du centre n'est pas seulement francilienne : d'aucuns viennent du Loiret, d'Indre-et-Loire, des Hauts-de-France, de Belgique, plus rarement du Sud. Les délais d'attente se sont contractés à deux mois, contre six, il n'y a pas si longtemps. Les soignants pensent que le recrutement d'un troisième médecin - un poste ouvert depuis… plus d'un an - pourrait encore les réduire. 

La structure a reçu en 2013 les honneurs de la secrétaire d'État aux personnes handicapées Ségolène Neuville. « Je souhaite que le centre du Dr Saravane fasse des petits pour que, dans chaque région, on puisse trouver une consultation spécialisée de ce type », avait-elle déclaré lors du congrès Autisme France, à Bordeaux.

Depuis, branle-bas de combat. À l'automne 2015, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) publie une instruction adressée aux agences régionales de santé (ARS) pour orchestrer la mise en place de consultations dédiées aux personnes handicapées. Le cahier des charges annexé est rédigé en collaboration avec le Dr Saravane, dont le centre devient une référence national. 

Dès 2017, les premiers centres répondent aux appels d’offres de leur ARS : Bordeaux (à la maison de santé Bagatelle) et Limoges (au sein de l'hôpital Esquirol). D'autres devraient bientôt se faire connaître en Bretagne et dans les Hauts-de-France. 

De son côté, le centre d'Étampes entend développer la télémédecine et téléexpertise et mise sur le développement de la recherche clinique, grâce à un partenariat avec le Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke-Canada. Infatigable, le Dr Saravane, à peine les journées franco-québécoise et le congrès de l'ANP3SM terminés, pense déjà à un grand congrès de la francophonie sur l'autisme pour 2019. 

*Mme Engo Nsi a fondé l'association Autisme France Afrique (Autifa) pour briser le tabou de l'autisme en Afrique. Son projet : organiser la venue de spécialistes au Cameroun pour aider les parents et enfants confrontés à des TSA. Rens : www.facebook.com/Autifac/