Dénervation rénale par radiofréquence

Une nouvelle approche dans l’HTA résistante

Publié le 21/04/2011
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PAR LE Pr MICHEL AZIZI*

EN FRANCE, l’hypertension artérielle (HTA) est l’un des principaux facteurs de risque cardio-vasculaire (CV) : plus du quart de la population adulte de plus de 20 ans est hypertendu. Malgré les recommandations pour la prise en charge de l’HTA, le contrôle tensionnel reste très insuffisant chez les hypertendus traités. La pression artérielle (PA) cible,< 140/90 mmHg, n’est atteinte que chez 31 à 66 % des patients traités dans les pays occidentaux. Selon l’Étude nationale nutrition santé (ENNS), le pourcentage de patients hypertendus traités ayant une PA en dessous des valeurs cibles est de 41,8 % (IC 95 % : 32,3-51,3 %) pour les hommes et de 58,5 % (IC 95 % : 51,1-65,8 %) pour les femmes. Cette proportion ne tient pas compte du score de traitement (nombre de traitements antihypertenseurs pris) et de leur nature. L’HTA résistante (HTAR) est définie dans les recommandations 2005 de la Haute Autorité de santé (HAS) par une « PA restant au-dessus de la cible thérapeutique fixée (le plus souvent 140 et/ou 90 mmHg, mais 130 et/ou 80 mmHg chez le diabétique ou l’insuffisant rénal) chez un patient traité par une association de trois médicaments dont un diurétique ». Sa prévalence est estimée entre 5 et 25 % du recrutement des centres spécialisés. Les patients ayant une HTAR sont à haut risque cardio-vasculaire (CV). Si la définition de l’HTAR et l’algorithme aboutissant au diagnostic d’HTAR sont bien codifiés par les recommandations nationales ou internationales, la prise en charge thérapeutique des patients concernés reste imprécise et non standardisée. Celles-ci préconisent la prise en charge par un centre spécialisé, un renforcement de l’intensité des traitements (notamment diurétiques, l’ajout d’un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes, telle la spironolactone ou des antihypertenseurs centraux…), l’utilisation des combinaisons d’antihypertenseurs en un seul comprimé et un suivi renforcé en particulier par l’automesure tensionnelle (AMT). De nouvelles options médicamenteuses sont recherchées pour les HTAR : certaines voies ont été abandonnées du fait d’un risque élevé d’effets secondaires, parfois graves, ou d’une faible efficacité et d’autres sont en cours d’évaluation. Enfin, pour les cas d’HTAR les plus sévères, on voit apparaître des traitements non médicamenteux fondés sur la stimulation du baroréflexe ou la dénervation rénale (DR). L’efficacité en prévention et la sécurité à long terme de ces techniques restent à démontrer.

Les premiers essais chirurgicaux de DR dans les années 1950 à 1970 (intervention de Smithwick), réservés à des patients ayant une HTA très sévère, ont montré la faisabilité de l’approche permettant une réduction tensionnelle importante. Toutefois, les conséquences délétères de cette chirurgie et l’avènement des classes successives d’antihypertenseurs de mieux en mieux tolérés et de plus en plus efficaces a relégué aux oubliettes de l’histoire médicale cette approche chez l’homme. Néanmoins, l’étude des conséquences de la DR dans divers modèles expérimentaux a été poursuivie, en particulier par G. F. Dibona, montrant l’importance non seulement des efférences mais surtout des afférences sympathiques rénales dans le contrôle central de la PA.

Dans ce contexte, le développement d’un cathéter spécifique dans le but de permettre une ablation des fibres sympathiques rénales afférentes et efférentes par un courant de radiofréquence (RF) de faible intensité après cathétérisme artériel sélectif de chacune des artères rénales a relancé cette approche thérapeutique. Le courant de RF est délivré consécutivement dans les deux artères rénales par une électrode de dispersion située à l’extrémité d’un cathéter spécifique à usage unique introduit par voie transfémorale. Testée dans une étude de faisabilité non contrôlée chez des hypertendus résistants à une trithérapie antihypertensive, la DR a entraîné une baisse importante de la PA clinique, avec un risque faible de complications locales au point de ponction artérielle et une dissection artérielle rénale traitée par endoprothèse.

SYMPLICITY HTN-2.

L’efficacité antihypertensive et la sécurité de la DR ont été évaluées dans l’étude SYMPLICITY HTN-2, un essai international multicentrique contrôlé, randomisé, ouvert (1). Les patients ayant une HTAR avec une PA systolique (PAS) ≥160 mmHg malgré une trithérapie antihypertensive, un débit de filtration glomérulaire estimé› 45 ml/min et une anatomie artérielle rénale favorable (une seule artère rénale principale pour chacun des deux reins de diamètre› 4 mm et de longueur› 20 mm) ont été sélectionnés, inclus, puis randomisés selon un ratio 1:1, soit dans un bras DR, soit dans un bras traitement médical seul non standardisé. Le traitement médical devait être poursuivi à l’identique pendant 6 mois dans les deux bras.

Cent quatre-vingt-dix patients ont été sélectionnés entre juin 2009 et janvier 2010. Parmi eux, 106 (56 %) ont été randomisés dans les deux bras de l’étude : 52 patients dans le groupe DR, dont 49 évaluables à 6 mois (94 %), et 54 patients dans le groupe témoin, dont 51 (94 %) évaluables à 6 mois. La baisse tensionnelle clinique à 6 mois (critère d’évaluation primaire) a été de 32±23/12±11 mmHg dans le groupe DR contre 1±21/0±10 mmHg dans le groupe témoin. À 6 mois, 34 % des patients du groupe DR avaient une PAS<140 mmHg, avec un traitement inchangé ou légèrement allégé, et 84 % une baisse de PAS supérieure à 10 mmHg contre 35 % dans le groupe témoin. Bien que la mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA) et l’AMT étaient prévues dans l’étude en tant que critères de jugement secondaires, elles ne sont disponibles que chez, respectivement, 45 patients (20 patients du groupe DR et 25 témoins) et 72 patients inclus (32 du groupe DR et 40 témoins). Aucune explication n’est donnée dans la publication sur les raisons de cette discordance entre le nombre de MAPA et d’AMT valides et le nombre de patients ayant terminé l’essai. L’utilisation de ces méthodes de mesure indépendantes de l’observateur montre, comme attendu, une surestimation importante du bénéfice tensionnel par l’utilisation la mesure de PA clinique (-32±23/-12±11 dans le groupe DR contre 1±21/0±10 mmHg dans le groupe témoin), puisque l’amplitude de la baisse de PA est nettement moindre en AMT (-20±17/-12±11 contre +2±13/0±7 mmHg) et en MAPA (-11±15/-7±11 contre -3±19/-1±12 mmHg) entre les deux groupes de patients. Ainsi, la différence de variation de PA en MAPA entre les deux groupes n’est que d’environ 8 mmHg en PA systolique, ce qui n’est pas supérieur à l’effet attendu d’un seul médicament antihypertenseur.

Sur le plan de la sécurité et de la tolérance, il n’est survenu aucun événement indésirable grave en relation avec la DR au cours des 6 mois de l’essai. Quarante-trois patients sur 49 ont eu une imagerie artérielle rénale non invasive à 6 mois (37 écho-Doppler, 5 angio-IRM et 5 angio-TDM), qui ne montrait pas d’anomalie anatomique secondaire au geste de DR. Les effets indésirables rapportés sont des complications locales au point de ponction fémoral. La fonction rénale était restée stable 6 mois après la DR. Compte tenu du faible nombre de patients ayant eu une DR (n = 49), les résultats de l’étude ne permettent de tirer aucune conclusion fiable sur la fréquence réelle des complications attendues ou non attendues liées à la procédure, en particulier celles ayant une fréquence inférieure à 5 %. Le risque de la technique dépendra aussi, à l’avenir, de l’entraînement à la technique du radiologue/cardiologue interventionnel et de la sélection rigoureuse des cas.

Les résultats de l’étude SYMPLICITY-HTN2 suggèrent un très probable effet antihypertenseur de la DR dans la population des patients ayant une HTAR très sélectionnée pour l’essai. Toutefois, compte tenu des limitations méthodologiques (traitement médical non standardisé) et de la possibilité non écartée de biais dans l’interprétation des résultats (essai ouvert, critère clinique de réponse tensionnelle), il est vraisemblable que l’effet soit plus modeste que celui rapporté, en particulier en situation de « vie réelle ». Surtout, l’innocuité à court et à moyen terme de la procédure et de la DR reste à évaluer sur un plus grand nombre de patients.

Enfin, une limite inhérente à la technique est l’impossibilité de conclure sur des paramètres cliniques ou paracliniques au succès technique primaire de la DR au cours et au décours immédiat de la procédure et à moyen terme. Ces nouveaux essais permettront aussi de situer la place de la DR dans l’arsenal thérapeutique et d’en évaluer le rapport coût-efficacité.

*Unité d’hypertension artérielle et Inserm CIC9201, hôpital européen Georges Pompidou, Paris.

(1) Renal sympathetic denervation in patients with treatment-resistant hypertension (The Symplicity HTN-2 Trial): a randomised controlled trial. Lancet 2010;376;1903-09.


Source : Bilan spécialistes