Plusieurs fois condamnée pour ses carences éducationnelles, la France accuse un retard important dans le dépistage et l’offre de soins des patients souffrant d’autisme. Des vestiges d’idéologie psychanalytique privent encore certains enfants des avancées comportementalistes. Signe positif, le gouvernement vient d’annoncer un coup de pouce financier en direction des familles contraintes de se tourner vers des structures privées. Est-ce suffisant ?
« C'est un vrai scandale ! ». Lors d'une Journée de l'Académie nationale de médecine consacrée à l'autisme, le Pr Jean-Pierre Olié n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le manque de structures adaptées à la prise en charge de l’autisme en France. La situation est telle qu’aujourd'hui 7 500 personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont hébergées dans des établissements belges avec le quitus de la Sécurité sociale française ou des conseils départementaux ! Au-delà des possibilités d’accueil des malades, la France reste aussi à la traîne en matière de dépistage tandis que l’approche thérapeutique prête encore à discussion.
Des conceptions anciennes qui perdurent
Pour comprendre ce retard, il faut remonter à 1980 lorsque la classification internationale a séparé l'autisme des psychoses infantiles pour en faire un trouble du développement neurologique. Alors que d'autres pays développaient des méthodes et des structures spécifiques, en France, ce sont les conceptions anciennes qui ont continué à prévaloir. « La psychanalyse est restée très importante en pédopsychiatrie, au moins au niveau idéologique, confirme Sophie Biette, référente autisme à l'Unapei et présidente de l'Adapei (Association départementale des amis et parents de personnes handicapées mentales) Loire-Atlantique. La famille n'était pas considérée comme un partenaire, mais comme la cause de l'autisme. Ces idées sont encore sous-jacentes dans beaucoup de CMP. Un audit mené actuellement sur les formations initiales médicales, paramédicales et médico-sociales montre que les conceptions anciennes restent présentes. Le lien parental est encore interrogé. »[[asset:image:9801 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["Twitter"],"field_asset_image_description":["Secr\u00e9taire d\u0027\u00c9tat en charge du Handicap"]}]]
Le discours de Ségolène Neuville, secrétaire d'État en charge du Handicap, lors du récent Comité national Autisme, témoigne pourtant d'un réel engagement du gouvernement pour changer les mentalités et réduire le retard de la France. Le 3e plan Autisme 2013-2017 allait déjà dans ce sens en reprenant les recos de bonnes pratiques de la HAS qui rappelle que l'autisme est bien une pathologie du neuro-développement, nécessitant une prise en charge éducative et comportementale et non un trouble psychologique d'origine relationnelle.
Pour le Pr Frédérique Bonnet-Brilhaut, chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Tours, les choses évoluent, « mais de façon trop hétérogène et trop lente. Il existe des centres d'excellence où la prise en charge est très satisfaisante. Nos jeunes confrères pédopsychiatres sont au fait des connaissances actuelles. Mais les conceptions anciennes ont toujours cours. Le plan Autisme a l'avantage de fixer des objectifs. Mais il faut être plus ambitieux en termes de formation initiale des professionnels et de recherche ».
Des diagnostics trop tardifs
Alors que la précocité de la prise en charge apparaît comme un élément important du pronostic, les chiffres, là aussi, révèlent l'inertie du système. Il faut compter en moyenne plus d'un an pour que les Centres de ressource autisme (CRA) rendent un diagnostic, selon le rapport que vient de publier l'Igas et il existe encore de nombreux témoignages de familles qui ont erré pendant des années. Actuellement, le diagnostic est posé en moyenne vers 4-5 ans.
Dans le service du Pr Bonnet-Brilhaut, des enfants de 18-24 mois sont pris en charge. « Très souvent, ce sont les parents qui se rendent compte que quelque chose ne va pas, mais le pédiatre ou le généraliste ont tendance à les rassurer. Il faut écouter les parents quand ils expriment ce type d'inquiétudes, programmer une consultation un peu plus longue et, en cas de doute, prendre rendez-vous avec un pédopsychiatre ». « Les parents repèrent très vite une anomalie, renchérit Sophie Biette, mais pendant des mois les équipes recherchent des troubles de l'attachement et questionnent la famille plutôt que de s'occuper de l'enfant. »
Il faut avoir l’œil très entraîné pour repérer des petits signes à cet âge
Pr Bonnet-Brilhaut
Les items du carnet de santé pour les examens du 9e et du 24e mois sont utiles pour aider à repérer des troubles de la communication. Encore faut-il qu'ils soient correctement remplis. « Parfois, on est surpris, témoigne le Pr Bonnet-Brilhaut. Tous les items sont cochés oui, mais, quand on interroge les parents, on s'aperçoit que cela ne correspond pas à la réalité. Les médecins doivent examiner le développement du lien social comme le développement moteur. Est-ce que l'enfant synchronise ses expressions faciales et son regard, est-ce qu'il a une attention conjointe, un regard ou un sourire réciproques, est-ce qu'il pointe du doigt vers 9-10 mois ? Sans doute que 9 mois, c'est un peu tôt pour ce bilan. Il faut avoir l’œil très entraîné pour repérer des petits signes à cet âge, alors que la sémiologie est plus visible à 12 mois. »
Le plan Autisme prévoyait d'inclure une grille de dépistage de l'autisme à 18 mois dans le nouveau carnet de santé. Cependant, un groupe d'experts américains s'est prononcé récemment contre un dépistage systématique chez les enfants de 18 à 24 mois, tel que le préconise l'American Academy of Pediatrics.
Lors de la journée de l'Académie de médecine, le Pr Laurent Mottron, spécialiste de l'autisme à Montréal, remarquait qu'en population générale les taux de faux-positifs sont très élevés, proches de 40 %, lorsque l'on applique les outils de dépistage de manière très précoce, tandis que le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre, mettait en garde : « Attention au dépistage de simples particularités ». Pour le Pr Bonnet-Brilhaut, l'idée n'est pas de coller l'étiquette d'autisme, mais d'être attentif aux troubles neurodéveloppementaux dans leur ensemble. « Le diagnostic n'est pas là pour figer les choses, mais pour repérer là où il faut intervenir afin d'optimiser la trajectoire neurodéveloppementale, explique-t-elle. C'est parce que l'on aura diagnostiqué suffisamment tôt que l'on pourra mettre en place une rééducation précoce et avoir une trajectoire positive. Nous n'avons plus du tout une vision fixe et déterminée de l'autisme, mais une conception dynamique de trajectoire de développement et d'efficacité thérapeutique. »
Des structures insuffisantes
Malheureusement, si le diagnostic semble s'être amélioré au cours des dernières années, la prise en charge reste très difficile. En 2014, la France a été condamnée pour la cinquième fois par le Conseil de l’Europe pour défaut de scolarisation et d'éducation des enfants autistes.
Une classe de maternelle spécialisée de sept enfants par département, c'est ridicule !
Dr Isabelle Allard-Fernaux
[[asset:image:9796 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["BURGER\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Selon les associations, 20 % des enfants seulement seraient scolarisés dans des établissements ordinaires. « Les places sont toujours très limitées et beaucoup de familles n'ont rien, regrette le Dr Isabelle Allard-Fernaux, mère de deux enfants autistes, qui travaille dans plusieurs établissements médico-sociaux à Paris. Le plan Autisme est largement insuffisant. Il prévoit une classe de maternelle spécialisée de sept enfants par département, c'est ridicule ! ».En 2015, le rapport d'étape du plan concluait à l'existence de 8 600 places autorisées par les ARS pour les enfants et 6 200 pour les adultes. Près de 6 300 nouvelles places devraient être installées d'ici 2018, ce qui reste insuffisant pour combler le déficit, dénoncent les associations. « Pour les autismes de haut niveau, les structures sont très déficitaires et ce sont généralement les parents qui mettent en place l'accompagnement avec des professionnels libéraux dont certains (psychologues, psychomotriciens) ne sont pas du tout remboursés. Certaines familles ont 2 000 ou 3 000 euros à leur charge », témoigne Sophie Biette. Le coup de pouce financier annoncé a semaine dernière par Ségolène Neuville devrait améliorer les choses même si beaucoup d’interrogations persistent (voir l'encadré « Le gouvernement met 15 millions sur la table »).
L’approche thérapeutique en question
La définition de moyens adaptés est compliquée par l'extrême diversité des TSA, certains enfants étant autonomes et maîtrisant le langage, alors que d'autres ont besoin d'un soutien dans tous les actes de la vie quotidienne. De multiples méthodes sont proposées dont l'efficacité est difficile à évaluer. Le packing a été clairement condamné par Ségolène Neuville et une circulaire sera adressée prochainement aux ARS, spécifiant que la signature des contrats d'objectifs et de moyens sera subordonné à l'absence de cette technique. Les recommandations de bonne pratique reposent sur des niveaux de preuve limités, ont rappelé les Pr Catherine Barthélémy (chef de service honoraire au CHU de Tours) et Marie-Christine Mouren (hôpital Robert-Debré, Paris) devant l'Académie.
Très critique envers les approches comportementales et éducatives intensives de type ABA ou Denver, le Pr Mottron préconise de travailler sur les capacités particulières des enfants autistes, plutôt que de s'acharner à développer des capacités de communication qu'ils n'ont pas. « En Amérique du Nord, on applique parfois ces méthodes de façon très intensive, avec un surentraînement de l'enfant pour lui apprendre à regarder, à sourire, observe le Pr Bonnet-Brilhaut. Cela nous semble aussi excessif. Il ne doit pas y avoir de primat d'une méthode. En revanche, certains principes au sein de chaque méthode peuvent être tout à fait indiqués pour un enfant donné à un moment donné. »
Nous avons travaillé avec des enfants qui, à 5 ans, avaient un autisme important et qui sont aujourd'hui en BTS ou en IUT
Pr Bonnet-Brilhaut
De fait, tous les témoignages convergent pour conclure que les enfants ayant une prise en charge éducative et comportementale vont mieux. « Nous avons travaillé avec des enfants qui, à 5 ans, avaient un autisme important et qui sont aujourd'hui en BTS ou en IUT, remarque le Pr Bonnet-Brilhaut. Cela correspond bien aux données de la littérature, qui mentionnent 20 % de “very positive outcome”. Ces personnes ont une vraie vie relationnelle, sociale, professionnelle et, pour certains, affectives, même s'ils gardent une certaine particularité dans leurs intérêts ou sur le plan de l'intégration sociale. Bien sûr, toutes n'ont pas cette évolution favorable. S'il y a un retard intellectuel massif au départ, une comorbidité épileptique ou une maladie génétique, la trajectoire est différente. » Grands oubliés du plan Autisme, selon les associations, les adultes peuvent également tirer un grand bénéfice de ces approches dans leur vie quotidienne, observe Sophie Biette.
Génétique de l'autisme : la France en pointe
Si la France est à la traîne dans la prise en charge des TSA, elle a, en revanche, largement contribué aux progrès réalisés dans la compréhension de ces troubles, grâce à la recherche en génétique. L'équipe de Thomas Bourgeron, à l'Institut Pasteur, a découvert les premiers gènes impliqués dans des autismes non syndromiques (neurologines 3 et 4), en 2003, puis les gènes SHANK2 et SHANK3. Aujourd'hui, environ 200 gènes liés à l'autisme ont été identifiés. « Pour une centaine d'entre eux l'association est vraiment solide, tandis que les autres sont encore des gènes candidats », précise-t-il. Ces gènes sont impliqués dans trois grandes voies : la transmission synaptique, le remodelage de la chromatine et la régulation de la traduction de l'ARNm en protéine. Mais tous ont en commun de modifier le nombre ou la force des connexions synaptiques. « Aujourd'hui, quand on séquence les gènes de personnes ayant un autisme avec déficience intellectuelle, on trouve une mutation connue chez 25 à 35 % d'entre eux. »
Les gènes impliqués dans l'autisme sans déficience intellectuelle sont moins connus. Avec le groupe d’Alexandra Benchoua (I-Stem), l'équipe de Thomas Bourgeron recherche par des méthodes de criblage des molécules capables de réactiver les gènes mutés et de rétablir les connexions neuronales. Ces succès ne doivent pas cacher, cependant, les difficultés de la recherche. « Par rapport à la taille de notre pays, nous sommes très peu à faire partie des réseaux européens de recherche », estime le Pr Bonnet-Brilhaut, tandis que Thomas Bourgeron souligne les moyens dérisoires (500 000 euros) affectés à la recherche dans le 3e plan Autisme.